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Une nouvelle approche pour comprendre le « grand fleuve » du Nord canadien

Dans l’Arctique canadien, où les collectivités subissent les effets des changements climatiques, l’urgence se fait de plus en plus sentir. Ainsi, alors que les fluctuations du niveau des eaux commencent à avoir des répercussions sur la vie quotidienne dans la région du delta du Mackenzie, on a mis sur pied un partenariat unique en son genre afin d’approfondir les recherches. Découvrez l’équipe diversifiée qui adopte une nouvelle approche de la recherche dans le Nord. Cette équipe est constituée du peuple Gwich'in qui vit dans la région, de l’Université Carleton, de l’Université de Victoria et de l’Université de l’Alberta, de même que d’un groupe de recherche de Ressources naturelles Canada.

Juillet 2023

Le puissant Deh Cho — le Mackenzie ou « grand fleuve » — est le plus long fleuve du Canada. Il traverse les Territoires du Nord-Ouest sur 1 700 kilomètres jusqu’à la mer de Beaufort. Il représente l’une des premières routes du Nord et un lien vital pour les collectivités. Ici, les changements climatiques ont des effets significatifs sur la vie quotidienne.

Carte du fleuve Mackenzie dans le nord du Canada, suivie d’une image satellite du delta du fleuve.

Le Deh Cho ou fleuve Mackenzie est le deuxième plus long fleuve en Amérique du Nord. L’image du delta du fleuve a été prise par le satellite Landsat 8 en 2016. (NASA) Photo : Sarah Lord.

« Les niveaux d’eau ont changé dans le bassin du fleuve Mackenzie, et personne ne sait pourquoi », explique Jennifer Galloway, chercheuse à la Commission géologique du Canada, établie à Calgary. « Au cours des dernières années, les niveaux d’eau ont été plus élevés ou plus bas qu’à l’ordinaire, présentant même parfois des conditions de quasi-sécheresse ». Lorsque les niveaux d’eau sont bas, les barges ne peuvent plus traverser le fleuve, ce qui prive les habitants d’un accès vital à la nourriture et à d’autres fournitures essentielles. Des changements ont également été observés dans des zones où de nombreux Gwich'in ont besoin de la terre pour subsister et sauvegarder leur patrimoine culturel par des activités traditionnelles comme la chasse, le piégeage et la pêche.

Devant cette situation, Jennifer et l’équipe du projet ont décidé de développer une méthode de recherche intégrée alliant science occidentale et savoir autochtone, financée par la Commission géologique du Canada et ArcticNet – un réseau de centres d’excellence du Canada qui étudie les impacts des changements climatiques et de la modernisation dans l’Arctique. Le Conseil des ressources renouvelables gwich'in (Gwich’in Renewal Resources Board ou GRRB), le département du patrimoine culturel du conseil tribal des Gwich'in, l’Université Carleton, l’Université de Victoria et l’Université de l’Alberta sont tous cochercheurs dans le projet, sous la direction de Jennifer.

Montage de photos représentant des personnes qui travaillent dans des paysages nordiques. Photos : Sarah Lord.

Les membres de l’équipe ont prélevé des échantillons de carottes de tourbe dans 15 endroits éloignés différents.

Combler un déficit de connaissances

« C’est une situation idéale parce qu’il existe un déficit de connaissances que l’on peut en grande partie combler en faisant appel à différentes perspectives », explique Jennifer.

« Les scientifiques occidentaux tentent de mesurer les effets environnementaux des changements climatiques dans la région à l’aide de données quantitatives. Les Gwich'in s’intéressent également à l’impact que pourraient avoir les changements climatiques sur leur vie et leurs terres. Ils apportent donc une mine d’informations issues du savoir autochtone qui ne peuvent être obtenues par la science occidentale. »

Cette approche combinée peut permettre de mieux comprendre le climat passé et même les environnements préindustriels de la région.

« Nous sommes impatients de voir les résultats des recherches de l’équipe », indique Steve Andersen, biologiste de la faune au GRRB. « Ce travail nous aidera à mieux comprendre comment les niveaux d’eau ont évolué au fil du temps dans le delta du Mackenzie, afin que nous sachions à quoi ressemble une fluctuation normale. En comparant ces nouvelles données aux conditions existantes, nous pourrons nous faire une idée de l’ampleur de l’impact des changements climatiques sur le fleuve. »

Une ressource essentielle

L’équipe cherche à déterminer si certains phénomènes climatiques qui se produisent à grande échelle à intervalle régulier ont un impact sur les niveaux d’eau dans le bassin du fleuve Mackenzie. Le cycle El Niño/oscillation australe et l’oscillation décennale du Pacifique (phénomène certes similaire, mais de plus longue durée) sont deux régimes climatiques qui présentent un intérêt particulier, car ils peuvent avoir un impact sur les conditions météorologiques en Amérique du Nord. « Si c’est le cas, et si nous savons que ces phénomènes cycliques affectent l’hydrologie du bassin, on pourrait peut-être prédire les niveaux d’eau futurs et leur impact sur les milieux », explique Jennifer.

« Il s’agit d’un projet vraiment multidisciplinaire centré sur une ressource essentielle – l’eau –, ce qui le rend très intéressant à étudier », explique Anne Nguyen, de l’Université Carleton, qui fait partie des principaux auteurs de l’étude. « Le projet non seulement combine de nombreux aspects de la biologie, de la chimie, de la géologie et même de l’ingénierie, mais il s’appuie aussi sur le savoir traditionnel, une dimension que les scientifiques occidentaux comme moi ont du mal à comprendre pleinement. »

Montage de photos représentant des personnes qui effectuent des travaux de terrain.

Lorsque la COVID-19 a entraîné des restrictions de voyage, le GRRB a pris la direction des travaux sur le terrain. Photos : Sarah Lord.

Travailler en équipe pour réussir

Alors que le projet démarrait en 2020, la COVID-19 a commencé. Comme les voyages étaient limités, le GRRB a assuré la direction et la conduite des travaux sur le terrain, tandis qu’ArcticNet a financé les services d’hélicoptère grâce à son programme de subventions logistiques.

« Sans le leadership du Conseil des ressources renouvelables gwich'in, le travail de terrain nécessaire à ce projet n’aurait pas pu être effectué », indique Jennifer. Sous la direction de Sarah Lord du GRRB, des jeunes et d’autres membres des communautés gwich'in d’Inuvik, de Tsiigehtchic et de Fort McPherson se sont rendus en hélicoptère sur des terres humides et des tourbières, atterrissant sur 15 sites différents dans la région visée par l’entente avec les Gwich'in, une zone d’environ 57 000 kilomètres carrés située dans le nord-ouest des Territoires du Nord-Ouest. Ils ont recueilli des échantillons de végétation, mesuré le niveau de la nappe phréatique et prélevé des carottes de tourbe, tout en restant en contact avec les membres de l’équipe qui se trouvaient à des milliers de kilomètres de là.

« C’était ma première expérience de collecte d’échantillons et d’enregistrement de données sur le terrain », raconte Julienne Chipesia, étudiante en première année de droit à l’époque. « L’effort demandé, les vêtements trempés et toutes ces fois où je me suis retrouvée coincée sur les sites ont rendu l’expérience encore plus mémorable. Il est essentiel que les jeunes participent à des travaux de terrain pour mieux comprendre les changements environnementaux que subit notre pays. »

En plus de se porter volontaires pour accomplir rapidement le travail préparatoire, les Gwich'in apportent tout un éventail de connaissances écologiques traditionnelles en partageant des récits oraux, des modèles d’utilisation des terres et diverses observations que seules des personnes qui occupent un territoire depuis des millénaires peuvent fournir.

« Pour que nous puissions comprendre les changements climatiques dans leur intégralité, nous devons d’abord considérer le savoir traditionnel autochtone et la science occidentale avec le même respect », déclare Arlyn Charlie, coordinatrice de la culture et du patrimoine pour le conseil tribal des Gwich'in. « C’est seulement de cette façon que nous serons mieux outillés pour combattre les changements que nous observons, aujourd’hui plus que jamais. »

Aller à l’essentiel

Les chercheurs analysent les carottes de tourbe à la recherche d’indices importants sur les changements survenus au fil du temps. Les carottes, qui contiennent des restes de plantes qui poussaient autrefois dans la région, sont parfois vieilles de milliers d’années, la plus ancienne récoltée affichant l’âge remarquable de 5 900 ans! La modélisation climatique donne à penser que les tourbières sont très sensibles aux changements climatiques. En étudiant les restes de minuscules fossiles d’organismes unicellulaires conservés dans des couches profondes de mousse et les types de végétation contenus dans une carotte de tourbe, l’équipe peut reconstituer l’évolution de divers éléments naturels (climat, plantes, feux et niveaux d’eau) au fil du temps.

À poids égal, participation égale

« Il est essentiel de collaborer avec des détenteurs du savoir autochtone lorsqu’on effectue des travaux de recherche qui visent à déterminer les tendances environnementales à l’échelle régionale, à comprendre leurs impacts socioécologiques et à soutenir les prises de décisions locales et régionales », indique Trevor Lantz, de l’Université de Victoria

« De nombreuses communautés manifestent un réel enthousiasme à l’idée de mener ce type de projets et d’y participer », déclare Jennifer. La communauté a réussi à traduire, à gérer et à archiver numériquement 178 ans de savoir autochtone. »

L’aspect passionnant de la science...

Environ les deux tiers des travaux de laboratoire ont été effectués. « Il reste encore beaucoup à apprendre, et j’ai hâte de voir comment les résultats vont se conjuguer », indique Anne.

La plupart des carottes de tourbe montrent que les conditions et les niveaux d’eau observés au cours des dernières années étaient respectivement plus humides et plus élevés qu’il y a des centaines ou des milliers d’années. Il est cependant trop tôt pour dire que ce que révéleront les résultats. « Il est difficile de prédire ce qu’on va trouver, et c’est ce qui rend la science si passionnante », explique Jennifer. Parfois, c’est en arrivant à la fin de votre projet que vous découvrez quelque chose de complètement nouveau auquel vous ne vous attendiez pas! »

Quels que soient les résultats, en alliant savoir autochtone et science occidentale, les chercheurs pourraient bientôt découvrir pourquoi les niveaux d’eau du « grand fleuve » fluctuent.

Pour de plus amples renseignements :

Savoir traditionnel (balado de La Science simplifiée)

Science autochtone - Canada.ca

Téléchargement des données : GEOSCAN : Projet du bassin du fleuve Mackenzie (en anglais)

Gwich’in Renewable Resources Board (en anglais)

Gwich’in Social & Cultural Institute (en anglais)

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