Tuktoyaktuk, l’endroit idéal où ériger un pont entre les connaissances traditionnelles et scientifiques
Voici le premier d’une série d’articles de La Science simplifiée consacrée aux lieux où le savoir traditionnel recoupe la science fondamentale conventionnelle. Une valeur ajoutée incroyable peut être trouvée lorsque les membres de la communauté participent activement à la recherche scientifique menée près de chez eux. Cette approche est particulièrement utile dans les régions éloignées du pays, là où les gens subissent les effets dévastateurs des changements climatiques directement près de chez eux.
Février 2023
Dans les Territoires du Nord-Ouest, à l’extrémité de la première route praticable par tous les temps menant à la côte arctique canadienne, se trouve le hameau de Tuktoyaktuk. La région est le théâtre de certains des plus spectaculaires défis liés aux changements climatiques sur la planète. Les chercheurs estiment que, dans les 20 prochaines années, la partie nord-ouest du hameau sombrera lentement dans la mer, en raison de l’érosion côtière, alors que les autres zones seront plus sujettes aux inondations.
Peu de personnes connaissent mieux les défis de la région que Deva-Lynn Pokiak. Elle a grandi dans la communauté, sur la terre où elle s’adonnait au camping, à la chasse, au piégeage et à la récolte.
« Les habitants de Tuktoyaktuk sont profondément attachés à la terre et aux étendues d’eau. C’est ce que les gens connaissent depuis des années, de génération en génération. La transmission du savoir peut être aussi simple que donner la recette secrète de grand-mère. Nous accordons une grande valeur au territoire, car nous en vivons et y récoltons ce que nous mangeons; nous le traitons aussi avec un profond respect », a-t-elle expliqué.
Deva-Lynn est maintenant agente de liaison communautaire à Tuktoyaktuk et travaille aux côtés de Dustin Whalen, chercheur à la Commission géologique du Canada, au projet Nuna : Effective mitigation and adaptation to changing ground conditions for resilient coastal futures. Le mot Nuna signifie territoire, pays et sol dans la langue inuvialuktun. L’un des buts du projet consiste à rassembler une équipe diversifiée et à lui fournir des outils ainsi qu’une formation afin qu’elle puisse faire des prévisions plus précises concernant les taux d’érosion futurs.
Si la communauté est récemment devenue une destination touristique recherchée, elle est depuis longtemps un endroit de choix pour les chercheurs qui mènent diverses études sur les changements climatiques. Dans le cadre de ses fonctions, Deva-Lynn fait le pont entre les connaissances traditionnelles et les connaissances scientifiques pour aider à corroborer et détecter tout changement du territoire, en plus de collecter des données.
Là où coexistent le savoir inuit et la science
Les chercheurs désireux de comprendre les effets des changements climatiques dans le Nord s’appuient sur la contribution du peuple inuit, lequel possède une expérience concrète de la terre et une tradition orale importante des événements passés.
« L’équipe pose des questions au sujet des problèmes qu’affrontent la communauté, tels que l’érosion, la dégradation des sols, le dégel du pergélisol et la hausse du niveau de la mer », a indiqué Dustin. Or, il est essentiel de trouver des solutions », a indiqué M. Whalen. « Notre travail consiste à fournir des renseignements géoscientifiques pour aider les habitants du Nord à réagir aux effets cumulatifs et soudains des changements climatiques et à comprendre comment les connaissances inuites et scientifiques peuvent coexister le long de la côte et dans les communautés côtières de l’Arctique pour le bien de tous. »
Un aspect particulièrement important du travail de Deva-Lynn est de pouvoir inclure sa culture dans son travail, puisqu’elle connaît si bien le territoire.
« J’ai vécu ici, j’ai été témoin des changements qu’a connus le territoire », a précisé Deva-Lynn. « Je sais où se trouvent les sites traditionnels, historiques et de récolte qui comptent pour les habitants de la région. Faire partie d’une équipe qui vous aide à déterminer où et sur quoi vous voulez faire des recherches et vous concentrer est gratifiant. Ensemble, nous détectons les nouvelles menaces auxquelles les changements climatiques exposent la communauté, de la hausse du niveau de la mer, au dégel du pergélisol, en passant par l’érosion des terres. Le fait de savoir où le sol est le plus instable peut nous aider à mieux planifier et à préparer les infrastructures de demain. »
L’échange de connaissances à l’honneur
Collaborer avec Ressources naturelles Canada a créé des débouchés pour la communauté, entre autres de participer à la prise de décisions, à la collecte de données et à la gestion. L’échange des connaissances représente un élément important des projets et permet de mieux comprendre à la fois les aspects scientifiques et les connaissances traditionnelles.
Lorsqu’on la questionne à propos de ce qu’elle apprécie le plus dans ce programme, Deva-Lynn répond que c’est le fait qu’il procure du travail pour les gens de la communauté et plus d’occasions d’être embauchés. Le programme leur permet aussi d’acquérir des connaissances en aidant et en apprenant à collecter et à gérer leurs propres données.
Le travail de Deva-Lynn l’amène à côtoyer de nombreuses personnes, originaires d’endroits inhabituels, et elle se réjouit de pouvoir partager sa culture et ses connaissances avec tous ceux et celles qui ont envie d’apprendre. L’occasion de voyager et de rencontrer de nouvelles personnes représente également un atout pour Deva-Lynn, qui apprécie tout particulièrement le travail sur le terrain.
L’un des plus grands défis liés au travail dans une communauté éloignée : la formation et l’apprentissage sont difficiles, sans oublier qu’il est parfois dur de travailler seul pendant des mois. Deva-Lynn aura l’occasion de se rendre cette année à la CGC Atlantique, à Dartmouth (Nouvelle-Écosse), pour un séjour d’apprentissage pratique avec son équipe. Le renforcement des capacités par le partage des expériences et des possibilités dans le Nord constitue une priorité du projet.
Lorsque Deva-Lynn n’est pas au travail, elle s’occupe de sa fille qui fréquente la garderie. Elle apprécie également faire de la menuiserie et pratiquer la planche à neige, un sport qui peut s’avérer difficile dans une région sans montagne. Mais, comme elle y parvient avec tant d’autres choses, elle fait en sorte que ça marche.
Le projet Nuna est financé par le Programme de recherche arctique Canada-Inuit Nunangat-Royaume-Uni. Les travaux de Deva-Lynn appuient également le programme de géosciences sur les changements climatiques de la CGC, le plan d’activité sur la dynamique côtière et le programme GEM-Géo-Nord. Pour en savoir plus sur le travail de Deva-Lynn et de son équipe, consultez le site FutureTuktoyaktuk.org
Pour plus de renseignements :
Géosciences : Changement climatique
Concevoir l’avenir de Tuktoyaktuk
Studying permafrost in the Canadian Arctic (Étudier le pergélisol dans l’Arctique canadien) (vidéo)
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