Le futur de l’Île-de-Sable
Au sud-est de la Nouvelle-Écosse continentale s’étend l'Île-de-Sable, une petite île en forme de croissant qui abrite de magnifiques chevaux sauvages et une faune unique. Mais avec les impacts éventuels des changements climatiques sur les zones côtières vulnérables, une petite île faite entièrement de sable peut-elle résister aux forces de la nature en plein milieu de l’océan Atlantique? Dans cet épisode, nous parlons avec un scientifique qui collabore à de nouvelles recherches pour sonder l’avenir de l’île de Sable.
Transcription
Joël Houle
À environ 300 kilomètres au sud-est de Halifax, en Nouvelle-Écosse, s’étend une île de sable qui s’appelle fort à-propos l’île de Sable. Cette petite île en forme de croissant abrite de magnifiques chevaux sauvages et la plus grande colonie de reproduction de phoques gris au monde. Mais avec les impacts éventuels des changements climatiques sur les zones côtières vulnérables, une petite île faite entièrement de sable peut-elle résister aux forces de la nature en plein milieu de l’océan Atlantique Nord? Dans cet épisode, nous parlons avec un scientifique qui collabore à de nouvelles recherches pour sonder l’avenir de l’île de Sable…
Bienvenue à un nouvel épisode de La science simplifiée! Je suis votre animateur, Joël Houle. Aujourd’hui, nous allons parler de la recherche qui se fait sur l’île de Sable. Si vous n’êtes pas familier avec l’île même, je vous recommande fortement de faire une recherche en ligne pour trouver des photos. C’est de toute beauté! Des scientifiques de Ressources naturelles Canada et Parcs Canada collaborent à de nouveaux travaux de recherche. Accueillons maintenant notre invité pour en apprendre davantage au sujet de la vie sur l’île de Sable.
Joël Houle
Notre invité aujourd’hui est Dan Kehler. Dan, bienvenue à l’émission!
Dan Kehler
Merci Joël! Je suis ravi d’être là.
Joël Houle
Alors tu travailles à Parcs Canada. Tu es écologiste. Est-ce que tu peux parler un peu de ce que tu fais?
Dan Kehler
Absolument. Je suis l’écologiste du parc national de l’île de Sable. Et donc je suis responsable de tous les programmes qui touchent la conservation des ressources naturelles et les espèces en péril. Je travaille avec tous les chercheurs qui viennent sur l’île. Je m’occupe aussi de la gestion environnementale et de la surveillance écologique.
Joël Houle
Tu travailles avec des collègues de Ressources naturelles Canada sur l’île de Sable. Pour les auditeurs qui ne connaissent pas cette île, est-ce que tu peux, disons, planter le décor pour nous. De quelle grandeur est l’île? Où se trouve-t-elle? Qu’est-ce qu’on peut y trouver?
Dan Kehler
Absolument. L’île de Sable est une île bien connue au Canada et même à travers le monde. L’île est située à environ 300 kilomètres à l’est d’Halifax, où disons 170 kilomètres de la terre la plus proche. Donc, c’est vraiment loin dans l’océan. On se sent vraiment assez isolé. On arrive sur une île qui est composée entièrement de sable. C’est pour cela sans doute que les premiers explorateurs l’ont appelée l’île de Sable. Alors l’île change de longueur et de forme selon les tempêtes et les forces océaniques. Mais en ce moment, elle mesure à peu près 40 km de long. Et au plus large, disons, 1 km.
Joël Houle
Alors c’est très petit.
Dan Kehler
C’est petit, mais une fois qu’on y arrive, on a l’impression que c’est très grand. Parce que ça prend longtemps pour se promener à pied sur le sable. J’imagine que quelqu’un qui essayerait de faire le tour de l’île à pied trouverait cela assez grand quand même.
Joël Houle
Alors comment on fait pour se rendre sur l’île?
Dan Kehler
Pour se rendre sur l’île, on prend un petit avion qui quitte Halifax à l’aéroport et qui atterrit sur la plage. Donc, la plage est la piste d’atterrissage. On peut également s’y rendre en hélicoptère ou en bateau.
Joël Houle
Alors, l’avion atterrit sur la plage?
Dan Kehler
Sur la plage. Alors, il faut des conditions très spécifiques pour que l’avion qui a de gros pneus puisse atterrir sur la plage sans aucun risque. À vrai dire, la partie la plus difficile, c’est le décollage. Pour que l’avion puisse décoller sans s’enfoncer et atteindre la vitesse nécessaire pour pouvoir quitter la terre, il faut que le sable soit super lisse et dur, mais pas trop dur.
Joël Houle
Alors, ce n’est pas évident de se rendre là.
Dan Kehler
Non. Avec la brume, les conditions de la plage, la météo, c’est souvent un assez grand défi juste pour s’y rendre.
Joël Houle
Lorsque que je faisais de la recherche pour l’épisode, j’ai vu qu’il y avait des chevaux sur l’île. Comment est-ce que les chevaux ont fait pour se rendre sur l’île?
Dan Kehler
Bonne question. L’île est vraiment bien connue pour les chevaux sauvages qui habitent là depuis maintenant 250 ans. Alors dans le temps, on pensait qu’il s’agissait de chevaux qui avaient nagé à partir des bateaux et navires qui avaient échoué sur l’île. Mais maintenant, selon les historiens, on pense que les chevaux ont été apportés exprès par des marchands qui sont venus de Boston. Et en partie, ils ont acheté les chevaux qui ont été pris des Acadiens lors de la grande déportation en 1755. Et ils ont emporté ces chevaux sur l’île pour voir s’ils pouvaient se faire de l’argent. Alors ils comptaient revenir et voir si la population s’était multipliée. Mais grâce aux difficultés de s’y rendre, et au fait que l’île n’est pas toujours aussi hospitalière qu’on le pense, cela a vraiment échoué. Il n’y a eu aucun succès commercial.
Joël Houle
C’est super intéressant! Il y a beaucoup d’histoire dans cette île. Si on revient au travail que toi et tes collègues de Ressources naturelles Canada vous avez fait. Quel genre de travail est-ce que vous avez effectué sur l’île?
Dan Kehler
L’île de Sable a fait l’objet d’études de plusieurs scientifiques de Ressources naturelles Canada au cours des dernières décennies. Ce sont eux qui ont vraiment préparé la base de données des connaissances géologiques au sujet de l’île et des environs. Mais plus récemment, avec le Dr Jordan Eamer et ses collègues à Ressources naturelles Canada et ailleurs, on a pu effectuer une étude et regarder l’évolution de l’île dans les 60 dernières années où on a accès à des images prises par des avions. Des images aériennes. Perchées haute résolution. Où on peut vraiment essayer de comprendre la dynamique de la côte et aussi de la ligne des dunes. Sur une île composée de sable, il y a des dunes. Ce sont les plantes qui assurent l’intégrité de ces dunes, mais elles sont en état d’évolution constante.
Joël Houle
Je vois. La raison pour laquelle on regarde en arrière, c’est pour prédire le futur j’imagine? C’est bien ça?
Dan Kehler
Oui, alors, depuis 1800, c’est-à-dire le début de l’occupation permanente humaine à l’île, on a des documents écrits qui décrivent l’île, et on a les premières cartes hydrographiques qui ont été créées en 1776. Alors, on a une idée de la taille et de la forme de l’île de ces temps-là et on sait que ça a beaucoup changé. En fait, au début, il y avait un réservoir d’eau à l’intérieur de l’île. C’était de l’eau salée, bien sûr. Et puis, les dunes se sont refermées autour de cette lagune qui, au fil du temps, est devenue fraîche grâce aux pluies qui sont tombées. Et depuis ce temps, on a vu aussi que les extrémités de l’île sont toujours en train de changer. Elles grandissent et rapetissent. On dirait presque un oiseau qui agiterait ses ailes. On voulait essayer de comprendre qu’est-ce que ça veut dire pour le futur de l’île? Est-ce que l’île sera là dans 50 ou 100 ans? Ou est-ce qu’elle est en voie de disparition. En fait, ce n’est pas la première fois que les gens se sont posé la question. En 1899, un géologiste avait soupçonné que l’île était sur le point de disparaître et que ça deviendrait un danger à la navigation encore plus extrême que ce ne l’était déjà. Ils ont considéré plusieurs options pour essayer de sauver l’île. Incluant mettre d’énormes rochers tout autour de l’île, ce qui n’était absolument pas possible. Alors ce qu’ils ont choisi de faire, c’était de planter des arbres. Parce qu’ils savaient qu’ailleurs dans le monde, les arbres stabilisent aussi les sables. Si on regarde en Europe, il y a des forêts immenses de pins dans des zones côtières. Alors, ils ont planté presque 100 000 arbres d’espèces différentes pour voir si elles prendraient sur l’île. Mais malheureusement, les conditions sont trop hostiles pour les arbres. C’est justement le sable qui est emporté par le vent qui fait comme de la friction avec l’écorce. Comme si on avait mis du papier sablé pour enlever toute l’écorce des arbres. Aucun arbre de l’époque a survécu.
Joël Houle
Si on parle spécifiquement du travail que tu fais, c’est quoi une journée typique pour toi et tes collègues sur l’île?
Dan Kehler
On effectue une série de suivis qui visent à mieux comprendre les ressources naturelles sur l’île, c’est-à-dire les chevaux et les phoques. C’est la colonie la plus importante au monde pour les phoques gris et les oiseaux, et bien sûr les plantes. Et il y a aussi des insectes qui sont endémiques à l’île, c’est-à-dire qu’on ne les trouve pas ailleurs dans le monde. C’est cette responsabilité collective qui nous préoccupe, et tout cela dans le contexte d’un environnement qui est tellement dynamique. Qui change de jour en jour. Et c’est pour cela qu’on voulait mieux comprendre l’évolution dans les dernières années et essayer de comprendre quelle est la trajectoire de l’île. Quelles sont les implications pour les étangs d’eau douce, pour les espèces qui dépendent de l’intérieur de l’île.
Joël Houle
Je vois. Tu travailles beaucoup avec le Dr Eamer de Ressources naturelles Canada. Comment est-ce que votre collaboration a commencé?
Dan Kehler
On a eu la chance que le Dr Eamer ait travaillé pour Parcs Canada en tant que coordonnateur des opérations pendant quelques années sur l’île de Sable. Il a pu vivre là-dessus dans un laboratoire vivant. Il a donc une bonne compréhension de ce qui se passe sur l’île. Des opérations, mais aussi du point de vue géologique. Alors, c’est grâce à cette expérience qu’il a eue, et bien sûr, à ses connaissances académiques, qu’on a pu mettre sur pied ce projet-là. C’était vraiment un heureux mariage d’intérêt et d’habiletés. Le Dr Eamer a pu nous appuyer quand on a mis ce projet sur pied avec des collègues de Ressources naturelles Canada et aussi un collège de sciences techniques qui ont fait l’analyse des données... L’analyse des photos aériennes elles-mêmes.
Joël Houle
L’expertise du Dr Eamer, c’est l’érosion côtière. Quel est l’avantage de travailler ensemble? Est-ce que vous êtes capable d’accomplir quelque chose qui n’est pas possible d’accomplir séparément?
Dan Kehler
Absolument. On est un très petit groupe qui travaille pour l’île de Sable à Parcs Canada, et on n’a pas toutes les expertises, toutes les connaissances dont on a besoin. Donc, on travaille souvent ensemble avec des experts à l’externe. Et un expert comme Jordan, qui est géomorphologiste, mais qui connaît aussi l’île, a un aperçu très particulier de ce qui se passe sur l’île. Alors, c’est grâce à cette collaboration avec la partie technique, alors l’analyse des photos aériennes, l’interprétation écologique et les implications pour la gestion de l’île, et aussi le côté géomorphologie et scientifique. Ensemble, on a pu réaliser ce projet qui, autrement, n’aurait pas pu prendre place.
Joël Houle
Alors, quelles sont vos conclusions? Est-ce que vous avez été surpris par les résultats que vous avez obtenus?
Dan Kehler
J’ai été surpris, mais j’imagine que j’étais un peu naïf aussi. Mais la conclusion la plus évidente, c’est que l’île est en train de devenir plus mince. Donc, on savait qu’il y avait beaucoup de mouvements sur les extrémités. Je m’attendais à voir ça. Mais je ne m’étais pas rendu compte à quel point l’île avait rapetissé du côté sud et on savait qu’on avait perdu presque 80 % des étangs d’eau fraîche pendant les dernières 40 années. Mais ça se comprend, si on voit la retraite de la côte vers l’intérieur de l’île. Alors pour pouvoir voir ça et de l’avoir quantifiée, cela m’a vraiment impressionné.
Joël Houle
Qu’est ce qui va arriver, vous pensez, à l’île de Sable dans l’avenir? Dans 20, 50 ou 100 ans? Est-ce que l’île va disparaître éventuellement?
Dan Kehler
C’est la question qu’on se pose toujours. Et la première étude qu’on a faite avec Jordan Eamer et les autres scientifiques, c’était vraiment pour préparer le terrain pour la modélisation de l’île. Ça c’est la deuxième étape. Donc, pour pouvoir comprendre, étant donné ce qu’on a vu et vécu pendant les 60 dernières années. Quelle est la trajectoire de l’île, de la forme de l’île, de la taille de l’île? Et quelles sont les implications pour l’écologie? Pour l’expérience des visiteurs? Est-ce qu’on va pouvoir toujours atterrir en avion sur le sable et pouvoir naviguer autour de l’île.
Joël Houle
Super intéressant. J’imagine que plusieurs de nos auditeurs aimeraient avoir d’autres informations sur l’île de Sable, sur le travail que toi et le Dr Eamer vous faites. Est-ce qu’il y a des ressources sur Internet? Ou est-ce qu’il y a des comptes sur les médias sociaux que vous recommandez que l’on visite ou l’on suive?
Dan Kehler
Certainement! Nous, à Parcs Canada, on maintient un site Web pour l’île de Sable et aussi un compte Facebook que les gens peuvent visiter. Je sais que le Dr Eamer a créé un compte Twitter et il serait très heureux d’avoir de nouveaux abonnés. En plus de cela, il y a plusieurs organisations à but non lucratif qui sont très préoccupées par l’île. Le Sable Island Institute a un site Web qui est très informatif. Et en plus de cela, il y a un autre groupe qui s’appelle les Friends of Sable Island qui ont aussi beaucoup de ressources sur leur site Web.
Joël Houle
Super! Alors, on va inclure les liens dans la description du balado. Dan, merci beaucoup d’avoir pris le temps de venir jaser moi aujourd’hui.
Dan Kehler
C’est un vrai plaisir. Merci.
Joël Houle
J’ai beaucoup aimé l’entrevue avec Dan! Personnellement, j’aimerais beaucoup visiter l’île de Sable un jour. Oh, et Dan tenait à souligner que, d’une certaine façon, son collègue Jordan Eamer et lui poursuivent une longue tradition de recherche... S’appuyant sur une vaste base de connaissances scientifiques qui ont été recueillies avant eux sur des dizaines d’années par de nombreux scientifiques, naturalistes et enthousiastes, y compris des géoscientifiques de Ressources naturelles Canada et des équipes de recherche d’autres ministères fédéraux. Également, dans la description de l’épisode, nous avons des liens qui pourraient vous intéresser chers auditeurs. Nous avons des liens qui contiennent de l’information sur l’île de Sable, et aussi sur les travaux effectués par Ressources naturelles Canada et Parcs Canada. Si vous avez aimé cet épisode, abonnez-vous à notre chaîne. Vous pouvez aussi nous envoyer des commentaires ou partager l’épisode sur les médias sociaux. La science simplifiée a aussi un site Web et une chaîne YouTube que je vous recommande fortement de visiter! Nous avons des articles et des vidéos intéressants sur le travail scientifique exceptionnel qui se fait ici à Ressources naturelles Canada. Les liens se trouvent aussi dans la description de notre épisode. Merci de votre écoute! Ne ratez pas notre prochain épisode.
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- La Commission géologique du Canada (Ressources naturelles Canada)
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- Friends of Sable Island (Anglais seulement)
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