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À la recherche d’une espèce fugitive au Nouveau-Brunswick

La pédiculaire de Furbish est un peu comme le canari dans une mine de charbon. La question est maintenant de savoir si nous pouvons l’aider à rebondir. 

Octobre 2024

Par une chaude après-midi, Martin Williams, expert en biologie moléculaire végétale au Service canadien des forêts (SCF), est accroupi sur les rives du fleuve Wolastoq/Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, à la recherche d’une fugitive... ou plutôt de preuves d’une fugitive. Sa cible? Une petite plante herbacée rare à fleurs du nom plutôt inhabituel de pédiculaire de Furbish, ou Pedicularis furbishiae.

La pédiculaire de Furbish occupe une place unique dans l’histoire du Canada, car elle a été l’une des premières plantes à être désignée comme étant en voie de disparition en 1980. Pourtant, malgré les efforts déployés pour la protéger, sa population continue de diminuer; la plus grande menace étant la dégradation de son habitat. Ces plantes insaisissables sont constamment « en fuite », obligées de quitter des environnements inadaptés à la recherche d’endroits plus propices à leur croissance, d’où leur réputation d’espèces fugitives.

Effort collectif de survie

Martin fait partie d’une grande équipe multinationale de rétablissement (qui comprend le SCF, la province du Nouveau-Brunswick, le Service canadien de la faune, l’Université du Nouveau-Brunswick, la Fondation pour la protection des sites naturels du Nouveau-Brunswick, la Première Nation de Tobique et le ministère de l’Agriculture, de la Conservation et de la Foresterie du Maine) qui cherche à renverser la situation pour qu’un jour, la pédiculaire de Furbish puisse à nouveau prospérer.

Homme souriant à l’appareil photo derrière un plateau de plants de pédiculaire de Furbish.

Le chercheur Martin Williams avec un plateau de semis de pédiculaire de Furbish et leur hôte, la desmodie du Canada, dans la serre.

Actuellement, seuls 19 sites de pédiculaire de Furbish sont connus : 15 dans le Maine et 4 au Nouveau-Brunswick. Malheureusement, trois des sites du Nouveau-Brunswick sont en danger imminent de disparition, ou d’anéantissement, avec moins de 10 spécimens dans chacun d’eux. Il s’agit d’un déclin brutal et inquiétant de leur nombre : en 2002, 915 plantes étaient recensées dans la province, mais en 2024, ce nombre n’était plus que de 260.

Carte du Maine et du Nouveau-Brunswick montrant où coule le fleuve Wolastoq-Saint-Jean.

Le fleuve Wolastoq/Saint-Jean s’écoule dans le Maine aux États-Unis et le Nouveau-Brunswick au Canada. (image : Papayoung à en.wikipedia CC-BY-SA-3.0)

Cette petite plante duveteuse, semblable à une fougère, présente des grappes de fleurs jaunes et ne se trouve que sur les rives du fleuve Wolastoq/Saint-Jean, qui coule du nord du Maine jusqu’au Nouveau-Brunswick et se jette dans l’océan Atlantique. La pédiculaire de Furbish lutte contre des conditions difficiles, notamment l’érosion, les inondations, l’affouillement de la glace et la concurrence d’autres plantes. À ces défis s’ajoutent les effets des changements climatiques, qui rendent la survie encore plus difficile en réduisant rapidement l’habitat déjà fragile de cette plante.

Petite, mais importante

« La pédiculaire de Furbish est un peu comme le canari dans une mine de charbon, explique Martin. Nous avons modifié notre environnement à un point tel que cette espèce est en train de dépasser le seuil où elle peut se rétablir. La vraie question est maintenant de savoir si nous pouvons l’aider à rebondir et à se rétablir. »

Pour atteindre cet objectif, Martin se concentre sur deux approches clés. Tout d’abord, il évalue la diversité génétique restante au Nouveau-Brunswick et dans le Maine tout en préservant cette diversité grâce à la cryoconservation des semences; processus qui conserve les semences à des températures extrêmement basses pour les garder viables à long terme. Le deuxième aspect de la recherche de l’équipe consiste à faire pousser des plantes à partir des graines recueillies et stockées dans des endroits sûrs et appropriés appelés « banques sur le terrain ». L’objectif est d’accroître la diversité génétique des semences, qui pourraient ensuite servir aux efforts de restauration le long du fleuve.

Deux images comparant la forme de la plante à l’état de plantule en laboratoire et à l’état adulte dans la nature.

Semis de pédiculaire de Furbish en laboratoire comparés à une plante adulte fleurie dans son milieu naturel.

Pédiculaire de Furbish de plus près : laboratoire, champ et serre

En raison de la nature éphémère de l’habitat de l’espèce (qui peut disparaître en un seul épisode d’érosion ou d’affouillement de la glace), l’équipe de Martin suit le déclin des sites naturels restants. Pour sauvegarder les plantes, ils ont établi deux banques sur le terrain, ou vergers à graines, soigneusement sélectionnées où les plantes vivantes peuvent se développer sans être menacées par les perturbations naturelles de la rivière. Dans les sites naturels, il recherche des indices sur les raisons du déclin de la population de la plante. Des stations météorologiques surveillent les conditions environnementales, tandis que Martin compte les plantes, vérifie les signes de floraison et garde un œil sur toute menace susceptible d’entraîner la perte de la population.

Il demeure plein d’espoir, tout en cherchant des réponses concernant l’évolution de l’hydrologie du fleuve, les effets de l’érosion et d’autres perturbations le long des berges. Il est toutefois également réaliste : « La dynamique a changé et il n’y a peut-être aucun moyen de rétablir l’équilibre. »

Le travail sur le terrain n’est qu’une partie du casse-tête. Martin passe également du temps au laboratoire, où il effectue des analyses génétiques, ainsi que dans la serre, où il cultive des spécimens de pédiculaire de Furbish. Il s’agit d’un processus complet, qui va de la rive au laboratoire et vice-versa.

Homme en pull-over et deux femmes en blouse de laboratoire regardent une machine d’analyse d’ADN.

Martin et son équipe du Centre de foresterie de l’Atlantique étudient la diversité génétique de la pédiculaire de Furbish.

Premier arrêt, la génétique

Comme tout bon détective, Martin commence par les bases : la génétique. À l’aide d’échantillons de feuilles prélevés sur différentes plantes de chaque population de terrain, il établit un profil génétique de chaque plante. Il cherche à comprendre le niveau de diversité génétique existant sur chaque site et pose deux questions fondamentales : « Ces populations étant fragmentées, existe-t-il des problèmes de diversité en leur sein? » et « Quelles sont les points communs entre les populations du Nouveau-Brunswick et celles du Maine? ».

Au Centre de foresterie de l’Atlantique du SCF, situé à Fredericton, Martin, sa petite équipe et d’autres collaborateurs du Field Museum de Chicago, du Harvard University Herbaria, de l’Université Laval et du Centre de foresterie des Laurentides, isolent l’ADN de la plante et utilisent une technologie de séquençage avancée pour rechercher les différences génétiques. Leur objectif est d’utiliser ces informations génétiques pour aider l’espèce à se rétablir. L’une des premières découvertes se distingue par son importance potentielle : en raison de l’interaction limitée entre les populations, il existe un niveau élevé de consanguinité, qui peut souvent avoir des répercussions sur la capacité de survie et la résilience de l’espèce.

Ce n’est qu’un des défis à relever. La production de graines diminue au fur et à mesure que le nombre de plantes diminue. Il est donc difficile de maintenir la population, et encore plus de l’augmenter. La diminution du nombre de semences entraîne une baisse de l’espoir. Cette corrélation directe rend encore plus critique l’augmentation du nombre total de plantes.

Deux plateaux de petits plants en serre.

Semis de pédiculaire de Furbish numérotés et classés. Ceux-ci sont associés à une espèce indigène appelée desmodie du Canada, qui sont les plantules avec de plus grandes feuilles rondes.

La serre : nourrir l’avenir

Près du laboratoire se trouve une serre où plusieurs études sont en cours. À l’intérieur, Martin présente une trentaine de petits spécimens de pédiculaire de Furbish, âgés de 10 semaines. Cette expérience particulière porte sur la culture efficace de ces plantes. Il teste si l’espèce se développe mieux avec un hôte, dans ce cas une espèce indigène appelée desmodie du Canada (Desmodium canadense). En tant que plante hémiparasite, la pédiculaire de Furbish s’attache à d’autres plantes, par les racines, afin de recueillir les nutriments des autres hôtes pour son développement précoce. Il constate déjà que les plantes associées à la desmodie poussent plus vite. Il tente de déterminer si le fait d’avoir un hôte améliore les chances de survie d’une plante et si celle-ci fleurira et produira des graines plus tôt.

L’environnement contrôlé de la serre (caractérisé par la précision de l’arrosage et de la fertilisation) permet aux plantes de se développer de manière plus robuste qu’elles ne le feraient dans la nature. Martin montre un spécimen plus grand au sol, déjà doté de minuscules fleurs. « Celui-ci n’a qu’un an et il fleurit déjà; ce qui ne se produit normalement qu’à partir de la troisième année », explique-t-il. Ce développement rapide suggère deux choses : qu’un environnement amélioré peut conduire à des plantes plus robustes et plus saines et que l’utilisation de plantes propagées en serre pourrait accélérer le rétablissement, puisque celles-ci pourraient potentiellement produire des graines plus tôt sur les sites où elles ont été plantées.

Plan de travail de laboratoire avec un papier rond découpé portant plusieurs graines et des tubes à essai à l’arrière-plan.

Semences préparées pour la conservation cryogénique dans l’azote liquide à -196 °C. Les graines (50) sont stockées dans des flacons, placés dans des boîtes CryoBox avant l’entreposage.

La boucle est bouclée, retour sur le terrain

fin septembre à octobre, Martin est à nouveau dans les « banques sur le terrain », cette fois pour prélever des graines. Il les apporte au Centre de foresterie de l’Atlantique, où il les nettoie et les évalue soigneusement, en éliminant celles qui ne sont pas retenues. Les meilleures graines sont enregistrées auprès du Centre national de semences forestières (CNSF), situé au Centre, puis placées dans un réservoir cryogénique au sous-sol, où elles sont conservées dans de l’azote liquide à -196 °C. Cela garantit leur viabilité à long terme et leur permet de rester en dormance jusqu’à ce qu’il soit temps de produire de nouvelles plantules. Actuellement, 57 collections de semences de plantes du Nouveau-Brunswick et 70 du Maine sont stockées en toute sécurité au CNSF.

Lorsque le moment est venu de planter les graines, Martin les fait pousser dans la serre jusqu’à la fin du printemps, date à laquelle il les ramène dans les « banques sur le terrain », où elles seront à l’abri des menaces fluviales. En utilisant des plantes cultivées à partir de graines recueillies auprès de différentes populations, lui et son équipe peuvent augmenter la diversité génétique des graines produites dans les « banques sur le terrain ». Une fois que les plantes cultivées sur le terrain auront atteint leur maturité et produit des graines, celles-ci seront utilisées dans le cadre de futurs efforts de rétablissement.

Avantages plus larges

Des progrès ont été réalisés et des efforts sont en cours pour mettre à jour la stratégie de rétablissement, intégrer de nouvelles connaissances et planifier les futurs efforts de conservation. Il s’agit d’une remarquable entreprise, qui ne se limite pas à la sauvegarde d’une seule espèce. Il s’agit d’apprendre comment divers facteurs influencent nos écosystèmes et de prendre des mesures pour être de bons gestionnaires de l’environnement en donnant à toutes les espèces (y compris la pédiculaire de Furbish) une chance de se rétablir et de prospérer dans leurs habitats naturels.

Si vous pensez avoir de la pédiculaire de Furbish sur votre propriété ou si vous souhaitez en savoir plus sur cette fascinante plante « fugitive », cliquez sur les liens ci-dessous.

À découvrir :

Pédiculaire de Furbish

En savoir plus sur les recherches de Martin sur ResearchGate (en anglais)

Centre national de semences forestières – collection et conservation de semences

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