Sauver des générations de recherche un semis à la fois
Des milliers de semis étaient en péril lorsque la COVID-19 a fermé les centres de recherche.
Septembre 2020
La serre est chaude et humide sous le soleil d’été de l’île de Vancouver pendant que le scientifique Mike Cruickshank du Centre de canadien sur la fibre de bois (Service canadien des forêts) s’occupe minutieusement de plus de 2 000 semis de douglas vert. Son but : s’assurer que chacun d’eux survive à l’été de la COVID-19 et au-delà même.
Il y a un an, le Centre de foresterie du Pacifique aurait été animé par la présence de techniciens, de pathologistes et de généticiens se préparant tous au travail sur le terrain. Cette année, Mike, un phytopathologiste de Ressources naturelles Canada (RNCan), est la seule personne à être entrée dans la serre depuis que la COVID a forcé la fermeture du Centre en mars. « C’est probablement l’endroit le plus sûr au monde en ce moment », dit-il, en faisant référence au fait qu’il travaille en isolement physique absolu. Il n’y a que lui et son sarrau blanc et d’innombrables bacs de semis.
La science ne s’arrête pas
Le rôle de Mike à titre de gardien est assez simple : surveiller et arroser les jeunes plants. Mais l’importance de ces semis ne peut être surestimée. Ils font partie d’une expérience de recherche qui pourrait avoir des répercussions pour les générations à venir. C’est pour cela que la tâche d’aujourd’hui est encore plus urgente. « Tout doit bien se passer », déclare Mike. « Personne ne veut perdre cette expérience. Il a fallu une armée de gens pour la mettre sur pied. Il faudrait tout recommencer. »
La configuration est plutôt rudimentaire. Il n’y a pas de climatisation, ni de surveillance informatique de l’environnement. Tout simplement un évent de toit pour que l’air chaud puisse s’échapper et un ventilateur. Rétrospectivement, c’est une bonne idée, dit-il, car rien ne peut tomber en panne.
La survie du plus fort
Les semis sont regroupés par famille. 2 000 rejetons en tout, provenant de 50 couples de parents différents (mère et père). Ils font partie d’une étude génétique. Les scientifiques veulent voir quels semis ont une meilleure chance de survie et de croissance dans des conditions non optimales. Ces caractéristiques de survie sont-elles inhérentes à la génétique familiale, imbriquées dans leur ADN/ARN? Ou s’agit-il d’une question géographique? Les semis provenant d’une zone sèche réussissent-ils intrinsèquement mieux à s’adapter au stress environnemental que ceux qui proviennent de zones humides, peu importe la famille?
« Essentiellement, nous avons une mini-forêt à l’intérieur. Nous avons dû simuler autant que possible les conditions auxquelles les semis seraient confrontés dans la nature », explique Mike. Simuler des conditions pluvieuses ou de sécheresse est une chose, mais comment peut-on introduire le pourridié ou une infestation de dendroctones? Dans les deux cas, un champignon est responsable. Dans le passé, certains semis de douglas vert ont été inoculés avec le champignon, alors que ceux du groupe témoin ne l’étaient pas. Dans le futur, on prévoit répéter les mêmes expériences avec le thuya géant.
Il faut tout un village virtuel pour élever un semis
Un vaste groupe de chercheurs et scientifiques participent à ce projet. Le ministère des forêts de la Colombie-Britannique, un des partenaires de recherche, veut découvrir les variétés de douglas vert les plus robustes pour son programme de plantation d’arbres. Il ne suffit pas de planter les semis, on veut s’assurer que ces arbres survivent pendant des générations.
Cosmin Filipescu, scientifique à RNCan, est impatient de voir les résultats de l’expérience avec la sécheresse et le pourridié, alors qu’il travaille à résoudre le mystère au cœur du thuya géant et pour le douglas vert. Entre-temps, les phytogénéticiens attendent d’établir une carte des gènes et de l’ARN de ces semis pour la toute première fois. « C’est comme un monde inconnu. Dans les cultures agricoles, ces plantes ont été étudiées et des cartes établies depuis des générations. Ce n’est pas le cas des arbres forestiers », explique Mike.
Les chercheurs ne pourront pas se plonger dans les résultats de l’expérience de cette année avant 2021 en raison de la COVID-19. Mais les immeubles de RNCan rouvrent graduellement leurs portes, dont les serres. Ce qui signifie que le rôle de Mike à titre de seul gardien tire à sa fin.
Et les leçons immédiates provenant de la COVID-19 sont évidentes. Lorsque les activités ont cessé, toute l’équipe du Centre de foresterie du Pacifique a dû rapidement modifier sa façon de faire et trouver d’autres méthodes pour rester en contact. La vidéoconférence est devenue un outil de communication vital alors que les scientifiques ont improvisé afin de poursuivre leur travail. « Nous avons déjà eu plus de 100 personnes dans un seul appel vidéo », précise Mike. « Ça a fonctionné à merveille. » Tellement bien, en fait, que ça demeurera probablement le principal moyen de rester en contact. Et Mike apprend maintenant à sa mère âgée de près de 90 ans à l’utiliser, avec beaucoup de succès.
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