Qu’ont en commun les volcans meurtriers, les changements climatiques et les extinctions massives?
La Terre a connu au moins cinq extinctions massives au cours de son histoire. Aujourd’hui, les travaux de recherche de Ressources naturelles Canada nous aident à mieux comprendre ces phénomènes cataclysmiques.
Février 2020
par Jennifer Kamau, en collaboration avec Steve Grasby
Steve Grasby et son équipe transportent de lourds sacs contenant des roches prélevées sur les affleurements rocheux dans le nord de l’île d’Ellesmere.
La variation des couleurs – du vert au rouge – des formations rocheuses dans le nord de l’île d’Ellesmere indique la période où 90 % des espèces vivantes sont disparues durant l’extinction du Permien. On a décelé, à cet endroit, une forte concentration de mercure.
Steve Grasby, qui regarde au loin, depuis un affleurement de schiste sur une falaise du fjord Otto, au Nunavut
En temps normal, le chercheur scientifique Steve Grasby s’occupe de géochimie au laboratoire de la Commission géologique du Canada à Calgary. Mais depuis peu, il explore un nouveau sujet : les effets meurtriers des volcans préhistoriques. Pour mieux comprendre le lien entre les formations rocheuses sculptées par de grosses éruptions volcaniques – les grandes provinces ignées – et les pires extinctions massives au cours des derniers 540 millions d’années, il a recours à des méthodes inédites mises au point par Ressources naturelles Canada (RNCan).
Éruptions, écosystèmes et extinctions
Les recherches de Steve établissent un lien évident entre le moment où ont eu lieu ces éruptions et certaines répercussions climatiques à l’échelle mondiale (dont le réchauffement de la planète, l’appauvrissement de la couche d’ozone de même que le réchauffement et l’acidification des océans) – répercussions qui ont eu une incidence sur la vie sur Terre tout au long de l’histoire et ont même entraîné plusieurs extinctions massives.
Par contre, comme le souligne rapidement Steve, ce ne sont pas tous les événements à l’origine des grandes provinces ignées (aussi appelées grandes provinces magmatiques et LIP) qui sont meurtriers. « Il reste encore beaucoup de recherche à faire pour comprendre leur incidence sur les écosystèmes mondiaux et la nature des processus d’extinction, ajoute-t-il, mais ces événements donnent de précieuses indications sur la façon dont les systèmes terrestres réagissent aux grandes perturbations des systèmes climatiques. »
Des roches qui en disent long
Il est tout à fait naturel que ces formations rocheuses soient liées à des cataclysmes. Les grandes provinces ignées sont des accumulations très importantes de roches fondues solidifiées qui sont profondément enfouies sous terre sous forme de magma ou qui ont été expulsées par les volcans sous forme de lave. Les grandes provinces ignées peuvent faire plus de sept millions de kilomètres carrés, soit presque la grandeur du Canada. Elles ont été formées par une série d’énormes éruptions volcaniques (10 000 fois plus importantes que toute éruption observée au cours de l’histoire humaine) qui se sont étalées non pas sur des semaines ou des mois, mais bien des centaines de milliers d’années.
Comme ces éruptions libèrent des quantités massives de dioxyde de carbone et de méthane, qui alimentent le réchauffement climatique et produisent un effet de serre sur Terre, elles sont de plus en plus mises en cause comme étant, du moins en partie, à l’origine des grandes extinctions massives.
L’hypothèse est tentante. Or, au moment d’établir un lien de causalité directe entre les deux morceaux du casse-tête – à savoir les éruptions volcaniques et les extinctions –, les scientifiques ont longtemps buté sur un problème de taille : prouver que les deux phénomènes s’étaient produits au même moment. Ce n’est plus le cas.
La réponse est gravée dans la pierre
L’hypothèse scientifique est simple : comme les volcans sont la plus grande source naturelle de mercure, la présence de mercure en fortes concentrations dans des roches datant des extinctions massives est presque assurément le résultat d’importantes éruptions volcaniques ayant eu lieu au même moment. De ce lien probable, on déduit que les effets climatiques des éruptions pourraient être corrélés directement aux extinctions massives qui ont éradiqué tant d’espèces sur la planète durant la préhistoire et façonné l’évolution de la vie.
Comprendre le passé : en tirer des leçons pour l’avenir?
Ces observations peuvent aider les chercheurs à comprendre les phénomènes liés aux changements climatiques du passé lointain. Il est toutefois important de faire preuve de discernement au moment d’établir des liens avec les changements environnementaux observés aujourd’hui. Comme l’indique Steve, les conditions à cette époque étaient très différentes de celles d’aujourd’hui. « Les événements à l’origine des grandes provinces ignées que nous avons étudiés constituent des scénarios bien pires que ceux du réchauffement climatique moderne », précise-t-il.
Cependant, il ressort un point important de cette analyse : « Ces événements montrent l’incidence qu’ont les gaz délétères et autres substances nocives sur les systèmes terrestres ainsi que la résilience de la vie qui a survécu à ces extinctions massives. »
Un laboratoire de RNCan qui retient l’attention mondiale!
Cette approche, qui met en lumière le lien entre éruption et extinction, suscite un vif intérêt. Steve est en demande partout sur la planète pour donner des conférences sur le sujet, et des groupes de recherche du monde entier ont maintenant recours à cette technique pour démontrer que chaque extinction massive dans l’histoire géologique est associée à une importante augmentation des concentrations de mercure et donc corrélée aux grandes éruptions volcaniques.
- La version intégrale de l’étude (en anglais seulement) : Mercury as a proxy for volcanic emissions in the geological record
- Volcans du Canada
- La sixième extinction, ou entrée dans l’Anthropocène
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