Questions et réponses : Petite histoire de l’utilisation des pesticides au Nouveau Brunswick
De 1952 à 1993, l’un des programmes d’épandage aérien de pesticides les plus importants au monde a été réalisé au Nouveau-Brunswick. Pendant cette période, 97 % des terres forestières de la province – qui occupent une superficie de 6,2 millions d’hectares – ont été traitées au moyen d’au moins un pesticide. Une équipe de chercheurs et de scientifiques a colligé et rendu publiques des données historiques sur l’utilisation des pesticides. L’objectif est de rendre cette information accessible pour faciliter la réalisation d’études sur le devenir des pesticides dans l’environnement, sur le rétablissement des écosystèmes et sur les effets persistants de cet ancien programme d’épandage.
Mai 2023
Nous utilisons des pesticides pour lutter contre les insectes nuisibles dans les forêts canadiennes depuis 1945; en outre, l’un des plus vastes et des plus longs programmes d’épandage aérien au monde a été réalisé au Nouveau-Brunswick, de 1952 à 1993. L’insecticide le plus connu à avoir été appliqué durant cette période est le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), qui servait à enrayer les infestations de tordeuses des bourgeons de l’épinette. Sur la page Web Données ouvertes des SIG du ministère des Ressources naturelles et du Développement de l’énergie du Nouveau-Brunswick, des scientifiques ont rendu public un nouvel ensemble de données historiques qui fournit divers renseignements, notamment la description des ingrédients, les formules, les taux d’épandage et même le type d’aéronef utilisé. Un article a été publié dans la revue Ecology pour présenter ces données.
Chris Edge, chercheur au Centre de foresterie de l’Atlantique à Fredericton (Nouveau-Brunswick), est l’un des auteurs de cet article.
Questions :
La collecte de cette information a demandé la contribution d’un grand nombre de scientifiques et d’organisations. Quel objectif ce groupe cherche-t-il à atteindre en réunissant toutes ces données au même endroit?
Chris Edge : Un groupe de chercheurs du Service canadien des forêts et de la province du Nouveau Brunswick a commencé à recueillir ces données au début des années 2000, et l’équipe actuelle a pris sa relève en 2020. Notre objectif était de rendre ces ensembles de données accessibles aux chercheurs et au public. D’abord, l’accès à ces données permet aux chercheurs de faire des études plus précises. Par exemple, on peut se baser sur l’efficacité d’opérations d’épandage antérieures pour mieux concevoir les stratégies antiparasitaires actuelles. En outre, des ensembles de données exacts sur l’épandage représentent un excellent outil pour les chercheurs désireux de déterminer si des écosystèmes se sont rétablis.
Il est également très important que le public puisse facilement consulter et comprendre cette information. Nous avons donc publié un article qui décrit les données recueillies, puis nous avons créé une carte-récit (en anglais seulement) qui décrit ces données encore plus en détail, en y ajoutant des mises en garde et des éléments de contexte supplémentaires.
L’examen de l’ensemble de données historiques vous a-t-il permis de relever des points ou de faire des découvertes dont les gens devraient, à votre avis, être informés?
Chris Edge : Le calendrier d’épandage et le nombre de pesticides épandus sont surprenants. Lorsqu’on fait allusion aux anciennes opérations d’épandage de pesticides, le DDT et ses effets néfastes sur l’environnement sont souvent les premières pensées qui nous viennent à l’esprit. Ce qui est surprenant ici, c’est que le pesticide le plus couramment utilisé et le plus massivement appliqué dans les forêts de la province n’était pas le DDT, mais le fénitrothion. Le fénitrothion ne persiste pas dans l’environnement comme le DDT, mais des études montrent que ce pesticide est toxique pour les poissons et les invertébrés. Les données agrégées que nous présentons font état du calendrier d’épandage et de la superficie totale de terrain où a été épandu chaque pesticide.
Les bio-insecticides à base de Bacillus thuringiensis, communément appelés BT, sont généralement considérés comme étant non toxiques pour les espèces qui ne sont pas ciblées par le traitement. On en emploie d’abondantes quantités et diverses versions dans le monde pour combattre différentes espèces d’insectes nuisibles. Certains pourraient être surpris d’apprendre que le Bacillus thuringiensis kurstaki (BTK) a été utilisé pour la première fois au Nouveau-Brunswick en 1975. Le BTK est actuellement utilisé dans le cadre de la Stratégie d’intervention précoce contre la tordeuse des bourgeons de l’épinette au Nouveau-Brunswick et à Terre-Neuve.
Cet article a pour but d’éclairer les futures recherches et non de revenir sur les impacts que le DDT a eus sur l’environnement, mais nos lecteurs seront curieux de savoir comment le DDT a été utilisé et s’il s’en trouve encore dans le sol. Que savons-nous des pesticides persistants?
Chris Edge : En gros, on en sait beaucoup, mais sans doute pas assez. Il y a pas mal d’informations sur la répartition des pesticides qui, comme le DDT, ne se dégradent pas dans l’environnement. Des études récentes nous révèlent que, dans les secteurs où on en a appliqué de grandes quantités, du DDT est encore présent dans les sédiments lacustres, et les communautés de zooplancton diffèrent de celles des secteurs où on n’en a jamais appliqué. Aujourd’hui encore, des équipes de recherche comme celles que dirigent Josh Kurek, de l’Université Mount Allison, et Karen Kidd, de l’Université McMaster, continuent d’étudier la persistance et les effets actuels du DDT.
Il est important de noter que la plupart des pesticides utilisés actuellement au Nouveau-Brunswick ne sont pas persistants dans l’environnement et ne risquent guère d’avoir les mêmes impacts écologiques que le DDT.
Ces ensembles de données datent de plus d’un demi-siècle – de 1952 plus précisément. Comment l’utilisation des pesticides a-t-elle évoluée depuis tout ce temps?
Chris Edge : Les stratégies d’épandage de pesticides en forêt ont beaucoup évolué au Canada en 70 ans. Le principal changement – et le plus important –, c’est que l’utilisation étendue de pesticides à large spectre a fait place à une application ciblée de pesticides à spectre étroit. Soigneusement conçus pour cibler des insectes précis, ces produits ont beaucoup moins d’effets indésirables sur les autres espèces.
La réglementation aussi a beaucoup évolué depuis 1952. Quand le DDT a commencé à être utilisé, il y avait peu de règlements en place pour protéger l’environnement. Aujourd’hui, les pesticides ne sont approuvés qu’après une évaluation rigoureuse de leur efficacité, de leur toxicité et de leurs effets non intentionnels sur l’environnement; et ils sont réévalués tous les 10 à 15 ans. Souvent, les effets non intentionnels des pesticides sont étudiés, et les évaluations reposent sur les techniques et les technologies les plus avancées.
Penchons-nous maintenant sur l’utilisation des pesticides pour lutter contre la tordeuse des bourgeons de l’épinette. Pouvez-vous nous expliquer la différence entre les anciens insecticides et ceux que nous utilisons actuellement?
Chris Edge : C’est le jour et la nuit. La grande différence, c’est que les insecticides actuels – Bacillus thuringiensis kurstaki (BTK) et l’hormone synthétique tébufénozide – doivent être ingérés par l’insecte nuisible pour agir, et, même là, ils n’ont d’effet que sur les chenilles. Autrement dit, ce ne sont pas des insecticides de contact : ils doivent être avalés pour être efficaces. Ils n’ont pas non plus la même persistance dans l’environnement que les anciens insecticides. Alors qu’on trouve encore des traces de DDT dans l’environnement aujourd’hui – plus de 50 ans après avoir cessé de l’utiliser –, les insecticides actuels se dégradent rapidement et sont presque impossibles à détecter à la fin de la saison durant laquelle ils ont été appliqués.
Sommes-nous mieux à même de limiter les populations de tordeuse des bourgeons de l’épinette en 2023 que nous l’étions en 1952 ou en 1993?
Chris Edge : J’ai des collègues au Service canadien des forêts (notamment un des coauteurs de ce récent article, Rob Johns, Ph. D.) qui étudient l’actuelle approche ciblée de lutte contre les infestations dans le cadre de la Stratégie d’intervention précoce contre la tordeuse des bourgeons de l’épinette. Leur stratégie s’est avérée efficace pour tenir l’infestation en échec et a permis de circonscrire les zones à traiter à moins de 10 % de ce qui avait été traité au plus fort de l’infestation précédente. Tant les produits que la stratégie employés ont été très différents et, d’après les résultats obtenus, nettement plus efficaces que les méthodes antérieures pour limiter les infestations jusqu’à présent.
Renseignements supplémentaires
Article dans la revue Ecology (en anglais)
Détails de la page
- Date de modification :