Qui peut bien se mesurer à la tordeuse des bourgeons de l’épinette?
Dans cet épisode, nous allons nous intéresser à une véritable bataille d’insectes qui rivalise avec le combat entre Hulk Hogan et André le Géant à WrestleMania III! Nous avons avec nous une entomologiste – ou experte en insectes – qui va analyser ce match emblématique. Écoutez pour découvrir quel insecte est assez courageux pour affronter la tordeuse des bourgeons de l’épinette.
Transcript
Joël Houle
Vous vous souvenez, quand vous étiez jeune et que vous preniez des insectes pour les mettre dans un bocal de verre et regarder s’ils allaient se battre entre eux? Non? C’était seulement moi? Peu importe. Dans cet épisode, nous allons nous intéresser à une véritable bataille d’insectes qui rivalise avec le combat entre Hulk Hogan et André le Géant à WrestleMania III! Nous avons avec nous une entomologiste – une experte en insectes – qui va analyser ce match emblématique. Restez des nôtres pour découvrir quel insecte est assez courageux pour affronter la tordeuse des bourgeons de l’épinette... Lequel l’emportera?
Joël Houle
Bienvenue à un nouvel épisode de La science simplifiée! Je suis votre animateur, Joël Houle. Aujourd’hui, nous avons une émission un petit peu différente. Nous allons examiner une méthode visant à contrôler un ravageur des forêts à l’aide d’un autre insecte. C’est un combat entre insectes!
Michelle Strong
Ça me dit vraiment quelque chose!
Greg Rogers
Moi aussi.
Joël Houle
Est-ce que c’est Greg et Michelle d’« Inspecter et protéger »? C’est une belle surprise!
Michelle Strong
Hé Joel. Quelle coïncidence... On fait aussi un épisode sur une bataille entres insectes! 100 000 guêpes ont été relâchées dans nos forêts pour combattre l'agrile du frêne – le savais-tu?
Greg Rogers
On fait même un thème de lutte!
Joël Houle
Ah oui! Sur votre balado?
Michelle Strong
Oui, vous savez, « Inspecter et protéger », le tout nouveau podcast de l'Agence canadienne d'inspection des aliments! On aime plonger dans les dernières actualités de la santé des plantes, de la santé des animaux et de la salubrité alimentaire.
Greg Rogers
Et vous pouvez nous trouver sur Spotify, Apple Podcast, Google podcast et n'importe quelle application sur laquelle vous aimez écouter vos balados.
Joël Houle
Très bonne promo! Plus j’y pense, on a tous les deux des sujets similaires et on utilise un thème de lutte (en passant on n’a pas plagié du tout votre balado)… C’est pratiquement une collaboration maintenant, n’est-ce pas?
Greg Rogers
C’est une très bonne idée! En passant, on est curieux… qui gagne le combat en ce moment?
Joël Houle
On ne le sait pas encore. On n’a pas fait l’entrevue. Mais si vous voulez vous pouvez rester et écouter.
Michelle Strong
Oh! Ne faites pas attention à nous … on s’invite à écouter la discussion discrètement en coulisses…
Joël Houle
C’est parfait! Merci Greg et Michelle! Je vous encourage fortement à écouter leur balado « Inspecter et protéger ». Alors, pour cet épisode, nous allons faire quelque chose de différent. Comme nos amis à l’Agence canadienne d’inspection des aliments, nous allons aborder ce combat entre insectes comme un match de lutte. Quand j’étais jeune, il y avait une émission de télé qui s’appelait « Les Super Étoiles de la lutte ». C’était une émission produite en français par la compagnie WWF, mais qui utilisait beaucoup de termes de lutte en anglais. Afin d’être plus fidèles à l’émission qui a marqué la jeunesse de plusieurs Canadiens français dans les années 80, nous allons adopter les termes qu’ils utilisaient. Je sais que c’est un peu rebelle, mais je me considère un peu comme le « Mad Dog » Vachon de Ressources naturelles Canada… Ok, sans plus tarder, accueillons notre spécialiste qui va nous aider à analyser le match entre nos deux insectes.
Joël Houle
Aujourd'hui, on reçoit l'entomologiste Véronique Martel, du Centre de foresterie des Laurentides. Véronique, comment ça va?
Véronique Martel
Ça va très bien, merci! Et toi?
Joël Houle
Super, merci! Alors avant qu'on commence l'analyse du match, est-ce que tu peux nous expliquer un peu c'est quoi ton travail? Le type de travail que tu fais?
Véronique Martel
Je suis chercheuse scientifique au Centre de foresterie des Laurentides à Québec. Avec le Service canadien des forêts. Je m'intéresse aux insectes des forêts. Ceux qui attaquent des arbres. Mais un peu plus spécifiquement, je regarde les insectes qui se nourrissent d’autres insectes. Voilà ma spécialité.
Joël Houle
Merci Véronique. Donc, aujourd'hui, on a deux adversaires et on va essayer de déterminer s’il y a un gagnant. On va commencer par ce qu'on appelle le « heel », un terme de lutte qui veut dire le lutteur qui est le méchant. Alors Véronique, est-ce que tu peux nous présenter le premier insecte?
Véronique Martel
Oui, donc, on a la tordeuse des bourgeons de l'épinette, une chenille qui va devenir un papillon. Présente naturellement en Amérique du Nord, elle se nourrit des bourgeons des sapins et de différentes épinettes. Alors, est-ce que c'est un méchant? Oui et non. C’est un insecte présent naturellement, qui fait partie de la nature. Donc, à ce niveau-là, on ne peut pas vraiment dire qu'il est méchant. Mais par contre, il y a des épidémies tous les 30 à 40 ans et dans ces épidémies-là il y a tellement de chenilles dans les arbres que ça peut finir par tuer les arbres. À ce moment-là, on peut peut-être considérer que c'est un petit peu un méchant parce que ça peut venir évidemment nuire à l'économie forestière au pays.
Joël Houle
Je vois. Alors pour notre épisode, ici on le considère comme le méchant, mais c'est vraiment une question de perception.
Véronique Martel
Exactement.
Joël Houle
Parfait. Alors on a la tordeuse d'un côté. Est-ce que tu peux nous expliquer c'est quoi l'autre insecte qui est l'adversaire?
Véronique Martel
Donc, on ne parle pas ici d'un adversaire de la tordeuse, mais de plusieurs adversaires qu'on peut regrouper sous le terme d'ennemis naturels. En gros, les ennemis naturels sont principalement des prédateurs, mais aussi des parasitoïdes. Un parasitoïde est un insecte qui pond ses œufs à l'intérieur d'un autre insecte qui va se faire dévorer de l'intérieur. Donc on s'imagine bien que ça va tuer l'insecte qui se fait attaquer comme ça. Et donc l'adversaire dont on parle, c'est chacun de ses ennemis naturels. Et là, on parle de plus d’une centaine d'espèces de parasitoïdes qui peuvent attaquer la tordeuse des bourgeons de l'épinette. Que ce soit les œufs, les chenilles ou les chrysalides. Donc c'est vraiment tout un ensemble d'ennemis naturels.
Joël Houle
Alors ce n'est pas vraiment un match un contre un. C'est comme un Royal Rumble disons, où plusieurs compétiteurs se liguent contre la tordeuse. Puis chaque insecte attaque la tordeuse à différents stades. C'est ça?
Véronique Martel
Exactement. Chaque espèce de parasitoïde va avoir son stade préféré pour attaquer. En fait, le papillon est le seul stade qui n'est attaqué par aucun parasitoïde. Une fois que la tordeuse est devenue papillon, là elle ne peut plus être parasitée. Mais par contre elle peut se faire manger par un oiseau, par exemple.
Joël Houle
Alors on a plusieurs adversaires. C'est un écosystème qui est quand même assez complexe. Comment est-ce que Ressources naturelles Canada est impliqué?
Véronique Martel
On est vraiment très impliqué dans la recherche sur la tordeuse, les ennemis naturels et les parasitoïdes. C'est important parce que ça contrôle la tordeuse de façon naturelle. C'est un système qu'on ne peut pas perturber parce que si on venait enlever cette pression-là sur la tordeuse, les populations de la tordeuse seraient encore plus grandes. Donc c'est important de s'assurer que lorsqu'on fait quelque chose – que ce soit une intervention contre la tordeuse ou des coupes ou différentes interventions forestières –, on ne va pas déranger tous ses ennemis naturels. Donc c'est une grosse partie des recherches qu'on fait. Il faut comprendre ce qui se passe et éviter de perturber cet équilibre-là.
Joël Houle
Est-ce que tu peux nous donner un exemple de projet de recherche?
Véronique Martel
Oui! J'ai eu un projet de recherche sur une espèce en particulier qu'on appelle le trichogramme, un insecte parasitoïde qui pond ses œufs dans les œufs de la tordeuse. On parle de quelque chose de très petit pour se développer à l'intérieur d'un œuf d'insecte. Et puis, c'est un projet de lutte biologique et la lutte biologique c'est vraiment cela. C'est quand on vient augmenter la population d'un parasitoïde ou d'un ennemi naturel quelconque pour lutter contre un insecte. Donc on provoque une petite augmentation des populations pour essayer d'augmenter la mortalité d’une autre espèce. Dans ce cas-ci, c'est un insecte déjà présent en forêt. Donc on ne rajoute rien dans l’écosystème. On vient augmenter ces populations temporairement pendant que la tordeuse pond.
Joël Houle
Ok, il n'y a pas d'effet à long terme sur l'écosystème.
Véronique Martel
Il n’y a aucun effet à long terme. Le trichogramme vit probablement deux ou trois jours s'il est chanceux. Il va attaquer les tordeuses, les œufs qu'il trouve, puis il meurt. Si on revient l'année suivante, tout est à recommencer. On n'a pas d'effets à long terme.
Joël Houle
OK, alors dans ton cas, est-ce que c'est toi qui a élevé les œufs de trichogrammes? Comment ça fonctionne?
Véronique Martel
Les trichogrammes, c'est une espèce disponible commercialement. Donc on peut carrément aller sur Internet et en commander. C'est très pratique. Dans ce cas-ci, c'est élevé par une compagnie qui fait ça dans des chambres de croissance contrôlée. Je commande des œufs parasités, pas des adultes. C'est un stade qui est mieux protégé qu'un adulte. C'est le stade qu'on utilise quand on relâche des insectes dans la nature.
Joël Houle
Je vois. C'est quoi le processus pour relâcher les insectes? Est-ce que tu vas dans la forêt avec un pot, puis tu dis OK, allez-y! Volez! Comment ça fonctionne?
Véronique Martel
Ça fonctionnerait si on le faisait comme ça. Mais évidemment, ce serait assez long. La façon traditionnelle, un format dans lequel on peut les acheter, ce sont des cartes. Donc c'est un carton sur lequel sont collés les œufs parasités et qu'on va accrocher aux branches dans la forêt. On peut marcher, accrocher les cartes aux branches. Puis, quand l'insecte va sortir, il va s'envoler, partir à la recherche d’œufs parasités. Mais bon, c'est une technique qui est quand même longue, dans le sens qu'on doit marcher dans la forêt. Et les forêts n'ont pas toutes des beaux sentiers bien nettoyés. Ce n'est pas nécessairement la méthode qu'on va privilégier. Dans notre projet de recherche, on a utilisé des drones pour relâcher les trichogrammes, parce que c’est rapide, efficace et que même si c'est plus cher que moi marcher en forêt, c'est quand même une technologie qui se développe extrêmement rapidement, donc les coûts diminuent avec le temps. Et ils vont diminuer encore.
Joël Houle
C'est toujours le fun de jouer avec des drones, de toute façon!
Véronique Martel
Oui, on aime ça!
Joël Houle
Si je comprends bien, dans le passé, on a fait des choses similaires, mais avec des hélicoptères, c'est ça.
Véronique Martel
C'est bien ça. C'est un petit peu le même style de projet. Mais dans les années 80, évidemment, les drones ce n'était pas comme aujourd'hui. Donc on utilisait les hélicoptères. C'était beaucoup plus coûteux. Un petit peu plus compliqué aussi parce qu'il faut un site pour décoller et atterrir. Ça en prend un aussi dans le cas du drone, mais il est tellement petit que c'est plus polyvalent. Et puis les coûts sont beaucoup moins importants.
Joël Houle
Quand tu relâches les trichogrammes, est-ce que c'est possible que des insectes autres que la tordeuse soient attaqués?
Véronique Martel
C'est une excellente question. Les trichogrammes peuvent attaquer différentes espèces de papillons, toujours au stade de l'œuf. Donc ils ne sont pas spécialisés sur la tordeuse. Par contre, comme ils ne vivent pas longtemps (peut-être 2, 3 ou 4 jours), ils vont attaquer les œufs qui sont présents dans la forêt au moment où on les relâche. Donc déjà ça limite beaucoup. Puis ils vont attaquer ce qui est le plus abondant parce que c'est ce qu’ils vont rencontrer le plus souvent. Et nous, on fait ces travaux-là dans les forêts infestées par la tordeuse. Comme l'insecte le plus abondant dans ces forêts, c'est la tordeuse, ils vont principalement rencontrer des œufs de tordeuse. Mais ils pourraient attaquer d’autres œufs s'ils en rencontraient. Mais l'effet est tellement court dans le temps. Donc, les impacts ne sont pas néfastes à ce niveau-là.
Joël Houle
Dans quelle situation est-ce que c'est avantageux d'utiliser cette méthode comparée à d'autres méthodes qu'on utilise pour contrôler les populations de la tordeuse?
Véronique Martel
C'est certain que ce n'est pas une méthode qui va être employée à très grande échelle. Au Québec en ce moment, un peu plus de 13 millions d'hectares sont affectés par la tordeuse. On ne peut pas relâcher les trichogrammes sur 13 millions d'hectares : ce n'est pas du tout réaliste. C'est quelque chose qui va se faire à très petite échelle, mais qu'on pourrait privilégier là où, pour différentes raisons, des insecticides ne seraient pas appropriés, p. ex. dans les aires protégées, les campings ou les secteurs un peu plus habités. On pourrait utiliser ça au lieu des insecticides sur des petites superficies.
Joël Houle
Super intéressant. Alors si on regarde le match dans ce cas-ci, où on a la tordeuse des bourgeons de l'épinette d'un côté et le trichogramme de l'autre, est ce qu'il y a un gagnant?
Véronique Martel
Si on regarde dans un combat un contre un, on a un œuf de tordeuse, on a un trichogramme qui l'attaque, il y en a juste un des deux qui va survivre. C'est impossible que les deux survivent. Soit une tordeuse va sortir, soit un trichogramme va sortir. Donc oui, à cette échelle-là, on a un gagnant. Par contre, si on regarde à l'échelle un petit peu plus large des populations, on n'a pas un gagnant dans le sens où, autant la tordeuse que le trichogramme va réussir à se maintenir dans l'environnement. Donc il n’y en jamais un qui va éradiquer l'autre, qui va complètement surpasser l'autre. C'est vraiment un équilibre. Donc les deux sont présents. Quand il y a un combat un contre un, dans ce cas-là il y a un seul gagnant, en effet.
Joël Houle
Alors vraiment, le gagnant, c'est la forêt.
Véronique Martel
C'est la forêt, exactement.
Joël Houle
Super. Alors pour nos auditeurs qui serait intéressés à en savoir davantage sur ce dont on a parlé aujourd'hui, sur la tordeuse, sur ta recherche à toi. Je sais qu'on a des produits de La science simplifiée qu’on va inclure dans la description de l'épisode. Mais est-ce qu'il y a des ressources sur Internet que tu aimerais signaler à notre public?
Véronique Martel
Oui! On a différentes publications pour le transfert de connaissances qui sont disponibles à Ressources naturelles Canada sur notre site. Il y a beaucoup de choses, beaucoup d'informations, que ça soit sous forme de fiches, d'articles. Donc visitez le site de Ressources naturelles Canada pour en savoir plus.
Joël Houle
On va inclure les autres liens aussi dans la description de l'épisode. Merci beaucoup de nous avoir, disons, appuyés dans notre thème de lutte aujourd'hui. Je sais que c'est un peu différent pour toi, mais on apprécie ton appui.
Véronique Martel
C'est toujours un plaisir, merci.
Joël Houle
C’est toujours plaisant de jaser avec Véronique! J’en apprends toujours beaucoup. Et maintenant, je sais ce qu’est un trichogramme! Michelle et Greg, est-ce que vous avez aimé l’entrevue ?
Greg Rogers
Ce fut vraiment intéressant, Joël. Merci de nous avoir invités!
Michelle Strong
J’ai super aimé! Si vous avez aimé cet épisode, écoutez le nôtre sur les combats entres insectes. Il est sur le nouveau balado officiel de l'ACIA, « Inspecter et protéger ». A bientôt!
Joël Houle
A bientôt Greg et Michelle! Chers auditeurs, si vous souhaitez en savoir plus sur la façon dont nous luttons contre la tordeuse des bourgeons de l’épinette, consultez les liens dans la description de l’épisode. Il y a également un lien qui mène au balado « Inspecter et protéger » de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, et plus particulièrement leur épisode qui porte sur les insectes qui luttent contre d’autres insectes. Nous sommes ravis d’avoir pu collaborer avec eux! N’hésitez pas à les consulter. Si vous avez aimé cet épisode, abonnez-vous à notre chaîne. Vous pouvez aussi nous envoyer des commentaires ou partager l’épisode sur les médias sociaux. La science simplifiée a aussi un site Web et une chaîne YouTube que je vous recommande de visiter! Nous avons des articles et des vidéos intéressants sur le travail scientifique exceptionnel qui se fait ici à Ressources naturelles Canada. Les liens se trouvent aussi dans la description de notre épisode. Merci de nous avoir écoutés! Ne ratez pas notre prochain épisode.
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