Le nucléaire : la grande oubliée des énergies propres (Demandez à RNCan)
Dans cet épisode de « Demandez à RNCan », Diane Camerone explique pourquoi on doit considérer l’énergie nucléaire comme une source d’énergie clé pour limiter les gaz à effets de serre.
Transcription
Introduction
Joel : Bienvenue à l’émission Demandez à RNCan, une série de balados où nous discutons du travail qui se fait ici à Ressources naturelles Canada (ou RNCan pour les intimes).
Aujourd’hui, nous allons discuter d’un type d’énergie propre qui semble être oublié ou même négligé par plusieurs d’entre nous. Lorsqu’on parle d’énergie propre, on met l’accent sur l'énergie hydroélectrique, l'énergie solaire et l'énergie éolienne. Mais pourquoi est-ce qu’on hésite à parler de l’énergie nucléaire? Est-ce un type d’énergie que l’on devrait considérer?
Bon, avant d’aller trop loin, je vais prendre un moment pour expliquer comment l’émission fonctionne.
Le concept de cette série est le suivant : On vous présente un sujet. On en discute avec un des spécialistes de Ressources naturelles Canada, et ensuite on vous laisse poursuivre la conversation dans les réseaux sociaux.
À la fin de l’épisode, si vous avez des questions sur le sujet abordé aujourd’hui, vous êtes invités à nous en faire part sur Twitter avec le mot-clic #DemandezÀRNCan. Notre spécialiste fera de son mieux pour répondre à vos questions.
C’est bon? Parfait, allons-y …
Musique d’introduction
Aujourd’hui, nous avons le privilège d’accueillir Diane Cameron, directrice de la Division de l’énergie nucléaire de Ressources naturelles Canada.
Diane, merci d’avoir accepté notre invitation!
Diane : Avec plaisir!
Joel : Commençons par aborder le sujet qui vient immédiatement à l’esprit lorsqu’on parle de l’énergie nucléaire. Plusieurs personnes ont des préoccupations, ou même une peur de ce type d’énergie. Est-ce que l’énergie nucléaire est sûre?
Diane : Merci pour la question. C’est une question assez importante pour les Canadiens et je dirais que oui. Au Canada, on a un organisme de réglementation indépendant de calibre mondial qui s’appelle la Commission canadienne de sureté nucléaire, la CCSN. La CCSN se soumet régulièrement à l’examen minutieux et intense de ses pratiques au niveau international. Elle est reconnue comme l’un des meilleurs organismes de règlementation au monde et est souvent assujettie à des évaluations par les pairs. C’est-à-dire qu’on a un régulateur au Canada qui va s’assurer que l’implantation de l’énergie nucléaire au Canada est faite de façon sûre et la preuve c’est qu’on n’a pas eu d’incident dangereux au Canada.
Joel : Si on parle de l’uranium qui est utilisé dans la technologie, c’est quel type d’uranium qu’on utilise au Canada?
Diane : Au Canada, on utilise l’uranium non enrichi, c’est-à-dire l’uranium naturel dans la technologie canadienne, dans le CANDU. On en a 18 réacteurs CANDU au Canada sur 4 sites, trois en Ontario, un au New-Brunswick. Ils utilisent tous l’uranium naturel, c’est-à-dire qu’il provient des mines, de la terre puis on l’utilise comme ça, pas enrichi.
Joel : Ok. Puis j’imagine que ça crée des déchets radioactifs? Est-ce que les déchets posent des problèmes?
Diane : Oui ça crée des déchets radioactifs, mais au Canada on a un système de gestion très rigoureux. On a un système de gestion adoptive progressive. C’est un standard international, un processus qui identifie une collectivité hautement informée et consentante. C’est-à-dire que notre processus de gestion de déchets radioactifs est mondialement reconnu. On peut distinguer différents genres de déchets radioactifs. Le combustible nucléaire est le déchet le plus risqué puisqu’il est très radioactif, mais les quantités de ces déchets sont limitées. J’ai une statistique amusante qui indique que depuis le début des activités des centrales nucléaires canadiennes, c’est-à-dire depuis à peu près 1973, le volume de combustible nucléaire utilisé est évalué en volume équivalent à 7 patinoires de hockey, de la glace aux bandes. Alors c’est vraiment un volume vraiment gérable. C’est vraiment quelque chose qu’on peut gérer efficacement et de façon sûre.
Joel : Ça, c’est 7 surfaces de patinoires depuis les années 1950, c’est ça?
Diane : Oui, c’est ça.
Joel : Ok wow c’est pas… Ce n’est pas une quantité énorme. Moi, ce qui m’intéresse c’est surtout l’aspect de l’énergie propre. L’énergie nucléaire est considérée comme étant une énergie propre. Comment est-ce qu’on la mesure à comparer d’autres types d’énergie. Surtout en ce qui concerne les effets sur l’environnement, est-ce que c’est mesuré en gaz à effet de serre ou…
Diane : Oui. C’est justement ça le défi de notre époque, c’est le changement climatique. Et si on est sérieux avec notre objectif de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés Celsius au niveau mondial, on doit vraiment considérer toutes nos options. Avec les technologies qui sont disponibles, aujourd’hui, on doit vraiment considérer l’énergie nucléaire comme une source d’énergie clé pour limiter les gaz à effets de serre, les GES. Avec l’énergie nucléaire, on a des défis du côté de la sûreté, de la sécurité, des déchets radioactifs, mais on a la connaissance pour gérer ces défis-là et vraiment c’est une source très importante non émettrice de GES. On a d’autres options bien sûr, le vent, le solaire et autres technologies qu’on va voir de plus en plus comme les réseaux électriques intelligents, le stockage d’énergie, l’efficacité énergique, les véhicules électriques, etc. Mais on n’a pas toutes les options dont on a besoin pour vraiment gérer notre budget de carbone aujourd’hui. Les recherches indiquent que nous devons respecter un budget mondial de carbone, essentiellement, on a un budget qui vise le zéro émission, dit-on. On veut aller à zéro d’ici 2100. D’ici l’année 2100, on doit implanter des sources d’énergie qui sont non-émettrices puis l’énergie nucléaire, c’est une technologie qu’on a aujourd’hui en quantité suffisante pour gérer notre budget de carbone.
Joel : Ok, alors l’énergie nucléaire peut vraiment nous offrir un moyen de réduire notre dépendance aux combustibles fossiles aussi, j’imagine?
Diane : C’est exactement ça. C’est une des options qu’on doit explorer sinon, on risque de ne pas respecter notre budget de carbone d’ici 2100 et dépasser les 2 degrés.
Joel : Vous avez mentionné qu’au Canada on a 18 centrales nucléaires, c’est ça?
Diane : Non, 18 réacteurs.
Joel : 18 réacteurs!
Diane : Sur quatre sites.
Joel : Ah, OK, parfait.
Diane : Il y a plusieurs réacteurs par centrale.
Joel : Ah, ok, je comprends. Est-ce une perception juste que l’énergie nucléaire ne joue pas un rôle plus important dans le bouquet d’énergie canadien?
Diane : Bien, ça joue vraiment un rôle très important dans le bouquet d’énergie canadien, mais j’aimerais répondre à ta question en 2 parties. Premièrement, nous devons reconnaître qu’au Canada, on a un réseau d’électricité qui est déjà décarboné à 80 %.
Joel : Oh wow!
Diane : Et ça, en grande partie, c’est l’hydroélectricité, mais il y a aussi une super forte contribution du côté de l’énergie nucléaire qui nous donne en Ontario 63 % de notre électricité et à New-Brunswick, c’est 33 %. Au Canada, c’est environ 15 % d’un océan à l’autre alors, ça joue déjà un rôle très important. Et en Ontario, il y a des investissements de plus de 26 milliards de dollars qui sont dédiés à la remise à neuf des réacteurs CANDU en Ontario pour s’assurer que l’énergie nucléaire va continuer de jouer un rôle très important dans le bouquet dans le réseau d’électricité en Ontario, puis au Canada, ça va nous aider à atteindre nos buts climatiques. Mais je pense que, vraiment, tu essaies de me demander pourquoi ça ne fait pas plus partie du dialogue, du débat, au niveau politique ou public. Ce n’est au cœur de nos communications. Puis ça, c’est un défi assez difficile. C’est vrai qu’en réalité, ça joue un rôle très important, mais ce n’est pas un sujet qui est toujours facile à aborder. Et là, ça regarde le niveau de confort du public, mais j’aimerais juste ajouter un fait intéressant qui est l’acceptabilité du public. Avec d’autres types d’énergie, on trouve que l’acceptabilité publique est en réalité moins forte quand on vit près d’une centrale. Alors qu’avec l’hydroélectricité, les grandes centrales d’hydroélectricité, le charbon, même l’énergie éolienne, plus on vite près de ces centrales, moins qu’on a l’acceptabilité publique et c’est exactement l’inverse avec l’énergie nucléaire. On trouve que dans les communautés qui sont les plus proches des centrales nucléaires comme Bruce Power, Ontario Power Generation, Darlignton et Pickering et au New-Brunswick, près de point Pointe Lepreau 2, on voit que l’acceptabilité publique est plus forte, plus on s’approche des centrales. Ce qui m’indique moi, que plus on en sait, plus c’est familier, qu’on en parle dans les écoles, et qu’on a de la famille qui travaille dans ces industries-là, moins c’est mystérieux, tu sais. Plus le processus est transparent, mieux on accepte. Alors, ça, ça fait partie de la dynamique de laquelle tu parles.
Joel : L’éducation est clé dans cette situation-là?
Diane : Je crois que oui.
Joel : Moi je serais surpris… Vous avez mentionné 63 % de l’électricité en Ontario vient de l’énergie nucléaire…Oh wow, super intéressant, je ne savais même pas. Au point de vue des coûts, est-ce que l’énergie qui est produite par l’énergie nucléaire est plus chère? Est-ce que c’est moins coûteux que les autres types d’énergie propre?
Diane : Une autre très bonne question. Les profils des coûts sont différents. Cependant, avec les types d’énergie propre, les mises de fonds initiales sont importantes avec l’énergie nucléaire, mais il y a des faibles coûts d’opération et de combustibles. Ça veut dire que dans le long terme, c’est très compétitif avec les autres énergies de base. Et comme statistique, je peux te dire que par rapport aux remises à neuf en Ontario, la centrale de Bruce Power, le prix projeté est pour l’entièreté du contrat et d’environ 7,7 sous par kW/h et à la centrale Darlington, le prix est évalué 8,1 sous par kW/h, c’est-à-dire que c’est très compétitif par rapport aux autres types d’énergie de base.
Joel : Alors, on peut dire que l’investissement initial est élevé, mais une fois fait, le prix de production de l’électricité même, est plus bas, c’est ça?
Diane : C’est exactement ça.
Joel : OK. Sur la scène internationale, j’entends souvent dire que le Canada travaille avec d’autres pays sur des projets nucléaires. Est-ce que vous avez un peu d’information là-dessus?
Diane : Oui, oui. On a des projets très très intéressants au niveau international. Celui dont j’aimerais parler aujourd’hui c’est un projet ministériel sur l’énergie propre. C’est un dialogue du côté politique et aussi sur l’innovation en matière d’énergie propre. Le Canada travaille avec les États-Unis et le Japon pour introduire une nouvelle initiative sur l’énergie nucléaire dans ce cadre ministériel sur l’énergie propre et c’est la première fois qu’un pays ira à la table internationale pour démontrer que nous sommes sérieux du côté des changements climatiques, côté énergie propre, on doit vraiment inclure l’énergie nucléaire dans le dialogue. Alors, depuis Paris en 2015, qu’on respecte nos obligations, on s’est engagé à décarboner nos réseaux d’électricité et d’énergie et à améliorer nos technologies énergétiques, comme SmartGrids et les technologies d’énergie renouvelable. Mais, il n’y avait aucun pays qui avait, je dirais, le courage d’aller à la table internationale dire vraiment qu’il n’y a pas de solution parfaite. On doit être réaliste, il y a des avantages et des désavantages peu importe l’option et on devrait parler de toutes les options possibles et l’énergie nucléaire, doit être une de ces options. On sait déjà que l’Agence internationale de l’énergie a prévu en 2017, pour limiter le réchauffement climatique à 2 degrés Celsius, que la production d’énergie nucléaire mondiale devra doubler par rapport au niveau actuel, d’ici 2040. C’est-à-dire qu’on ne peut pas atteindre nos objectifs en matière de changements climatiques sans vraiment être sérieux dans nos discussions multilatérales internationales sur l’énergie nucléaire.
Joel : Ça, ca m’amène à ma dernière question. J’aimerais savoir selon vous, que réserve l’avenir de l’énergie, de l’industrie nucléaire et de l’énergie nucléaire au Canada?
Diane : Au Canada, on a beaucoup de projets très intéressants. J’ai déjà mentionné les remises à neuf des réacteurs nucléaires en Ontario, ça c’est un gros investissement qui va vraiment stimuler l’économie, qui va renouveler la capacité des experts du secteur et renouveler la connaissance dans les chaines logistiques au Canada en matière de technologie canadienne et les CANDU. Ce qui nous positionne très bien pour les exportations de CANDU. CANDU Energy sous la gestion de SNC-Lavalin est en train de négocier des ventes potentielles avec la Chine pour des constructions de nouveaux réacteurs CANDU en Chine, en Argentine et en Roumanie. On a aussi une autre section du secteur qui s’intéresse aux petits réacteurs modulaires. Ça, c’est la nouvelle innovation que tout le monde essaie de se positionner pour être les premiers, pour être capable d’exploiter avec succès. Ce qu’on appelle les PRM, ce sont de petits réacteurs modulaires. Et au Canada, on anticipe qu’on va avoir trois marchés possibles pour ces réacteurs-là. Un marché pour remplacer les centrales d’électricité à combustibles fossiles, en particulier le charbon. Alors, on a des provinces qui sont plus petites avec des réseaux plus petits qui n’ont pas besoin de grands réacteurs CANDU comme on a en Ontario et elles sont intéressées à possiblement considérer les PRM pour remplacer le charbon dans leurs réseaux. Ça, c’est le premier marché qu’on va peut-être voir au Canada. Le deuxième marché, c’est l’application dans la production de chaleur et d’électricité dans les sites industriels connectés au réseau et hors de réseaux. Là, c’est des mines, c’est en Alberta, c’est en Ontario, au Nord, les mines qui ont besoin des deux : l’électricité et aussi la chaleur, pour leurs opérations industrielles. Puis, le troisième marché qu’on va peut-être voir au Canada, c’est pour aider les collectivités du Nord et les collectivités éloignées hors réseau à réduire leur dépendance au diesel. Mais ça, ce sont des innovations excitantes et il y a des compagnies canadiennes qui travaillent sur ces nouvelles technologies-là, mais il y a aussi beaucoup de collaboration internationale pour faire avancer ces innovations.
Joel : Ok, ça, c’est super intéressant! Merci beaucoup Diane.
Diane : Ça me fait plaisir, merci!
Joel : C’est maintenant le moment où nous vous invitons à poursuivre la conversation dans les réseaux sociaux. Si vous avez des questions pour Diane ou des commentaires sur cet épisode, vous pouvez nous les envoyer sur Twitter, accompagnés du mot-clic #DemandezàRNCan.
De plus, si vous souhaitez en apprendre davantage sur le sujet, nous vous invitons à visiter La Science, Tout Simplement, le magazine scientifique de Ressources naturelles Canada!
Si vous visitez le www.rncan.gc.ca/science-simplement, vous trouverez la page reliée à ce balado. Vous y trouverez aussi des liens vers d’autres documents pertinents.
Et tant qu’à y être, pourquoi ne pas faire le tour du site? Il contient une foule d’informations intéressantes : vous y trouverez les épisodes précédents de notre balado, des articles, et des vidéos qui mettent en valeur non seulement les travaux scientifiques effectués par notre ministère, mais aussi les personnes qui les font.
Si vous nous écoutez sur iTunes, Stitcher ou Soundcloud, nous vous invitons à vous abonner à notre émission pour prendre connaissance des épisodes antérieurs et futurs.
Voilà qui conclut cet épisode de Demandez à RNCan. Merci de nous avoir écoutés aujourd’hui et revenez-nous au prochain épisode!
Détails de la page
- Date de modification :