Quand fossiles vivants et technologie moderne se rencontrent
Par Polina Berliaeva
Grâce à leur immensité, les océans du monde entier permettent la survie d’une incroyable diversité d’espèces aquatiques. Mais que savons-nous exactement de la vie sous la surface de l’eau?
Par exemple, dans les eaux profondes au large des côtes de la Colombie Britannique et de l’Alaska, les membres d’une communauté tout à fait unique d’organismes se combinent pour former des récifs d’éponges siliceuses que l’on croyait autrefois disparus. Ces récifs ont été découverts vers la fin des années 1980 par des scientifiques de Ressources naturelles Canada (RNCan), dont Kim Conway — un événement si inattendu que les scientifiques le comparent souvent à la découverte d’un troupeau de dinosaures qui serait encore en balade sur la planète.
« Une des choses surprenantes que nous montre cette recherche, c’est qu’on connaît encore très peu l’océan », dit Kim. Et comme il est maintenant possible d’explorer directement ces récifs, on peut en tirer des connaissances précieuses. « Ce sont les seuls du genre sur terre que nous pouvons étudier », ajoute-t-il. Ils peuvent nous en apprendre beaucoup sur l’aspect que pouvaient avoir les très anciens et vastes systèmes de récifs de l’époque des dinosaures. »
Une ville d’éponges siliceuses
Contrairement aux éponges habituelles qui forment leurs structures à partir de protéines, les éponges siliceuses bâtissent leurs charpentes complexes à partir d’un minéral : la silice, principale composante du verre. Les récifs qu’elles créent atteignent jusqu’à 25 mètres de hauteur — ce qui est comparable à un édifice de huit étages — et se développent lentement au fil des siècles alors que des éponges siliceuses de trois espèces se greffent graduellement les unes aux autres, de génération en génération.
Hausse de la température de la mer? Conséquences plus vastes
Comme ils ressemblent aux récifs qui existaient en abondance avant de disparaître il y a 40 millions d’années, les récifs d’éponges siliceuses modernes sont jugés si essentiels à notre compréhension du monde sous marin que de nombreux scientifiques, pour les protéger, cherchent à les faire reconnaître comme site du patrimoine mondial de l’UNESCO. En attendant cette reconnaissance, Kim Conway et d’autres chercheurs tentent de trouver des moyens de mieux conserver et comprendre ce système de récifs unique, particulièrement dans l’état actuel des changements climatiques.
« La température de l’eau influence la quantité d’oxygène disponible pour les organismes », explique Kim. « Lorsque l’eau se réchauffe, elle perd de sa capacité à transporter de l’oxygène dissous, ce qui a une incidence sur les communautés biologiques des côtes et du plateau, notamment sur les récifs d’éponges siliceuses. Et l’un des grands impacts qu’auront les changements climatiques dans les océans est que de nombreuses espèces subiront ces variations d’oxygénation. »
Un monde d’activité sous la mer
Les récifs d’éponges siliceuses sont une importante zone d’habitat pour la faune marine. « La surface de ces récifs, comme celle d’un récif de corail, fournit refuge et nourriture à de nombreuses espèces de poisson », précise Kim.
Toutefois, alors que les récifs coralliens se servent du soleil pour produire la nourriture dont ils ont besoin pour se développer, les récifs d’éponges siliceuses vivent en eaux tellement profondes que le soleil ne peut les atteindre. « Cela signifie que les récifs d’éponges siliceuses doivent filtrer un grand volume d’eau pour trouver une quantité suffisante de nourriture, essentiellement composée de bactéries », ajoute Kim. De par son volume et sa grande efficacité, cette forme d’alimentation est vraiment impressionnante : un seul petit récif filtre assez d’eau pour remplir une piscine olympique en moins de 60 secondes.
Pour de plus amples renseignements sur les récifs d’éponges siliceuses, écoutez le balado de La science, tout simplement mettant en vedette le scientifique Phil Hill de RNCan.
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- Joel Houle
Bonjour tout le monde et bienvenue à l’émission Demandez à RNCan! Je suis votre animateur Joël Houle. Dans cette série de balados, nous discutons avec nos experts du travail qui se fait ici à Ressources naturelles Canada. Aujourd’hui, nous allons parler de récifs bien particuliers qui ont été découverts au large de la Colombie-Britannique dans les années 80. Avant de commencer, j’aimerais souligner que le balado s’appelle Demandez à RNCan pour la simple raison que nous voulons recevoir vos questions. Le but de l’émission est de vous faire découvrir les activités scientifiques de notre ministère. Alors, à la fin de l’épisode, si vous avez des questions sur le sujet abordé aujourd’hui, vous êtes invités à nous en faire part sur Twitter avec le mot-clic #DemandezÀRNCan. C’est bon? Parfait, allons-y…
- Joel Houle
Mon invité aujourd’hui est Philip Hill du Centre géoscientifique du Pacifique, à Sidney, en Colombie-Britannique. Philip, merci d’être avec nous!
- Philip Hill
Avec plaisir
- Joel Houle
Dans les années 80, vous avez participé à une expédition pour cartographier le plateau continental dans l’océan Pacifique. Pendant cette mission, vous avez fait une découverte fascinante et inattendue. Pouvez-vous nous en parler?
- Philip Hill
En fait, c’est mon collègue Kim Conway qui est le chef de cette mission. L’objectif de cette mission était d’étudier les aléas sous-marins, c’est-à-dire les hasards, donc les failles sous-marines, les glissements de terrain sous-marins, etc. L’objectif de cette étude était plutôt axé vers les aléas, mais pendant la mission on a fait beaucoup de découvertes intéressantes, des reliefs au fond de la mer qui étaient construits par des récifs d’éponges siliceuses.
- Joel Houle
Alors, c’est quoi exactement les récifs d’éponges siliceuses et qu’est-ce qu’elles ont de particulier?
- Philip Hill
Les éponges siliceuses sont une variété d’éponges qui font leur squelette à partir de la silice. Les autres formes d’éponges dont on est plus familiers sont les éponges qui font leur corps à partir de la protéine. Mais, en fait, certaines espèces se construisent un genre de squelette avec la silice. Elles sont très fragiles, mais ça donne une certaine force au squelette. Puis, elles grandissent très lentement quelques centimètres par année peut-être. Les éponges vivent l’une sur l’autre. Puis, elles construisent ce qu’on appelle un récif, un peu comme un récif de corail.
- Joel Houle
Quelles sont les répercussions scientifiques de cette découverte?
- Philip Hill
L’impact le plus important, c’est la découverte d’une forme d’écosystème très particulier. Ce qui est très important pour la gestion de la pêche. Ces grandes masses de récifs ont créé en effet un environnement particulièrement important pour les poissons de fond. Puis, ils ont changé complètement un nouveau paradigme en ce qui concerne les écosystèmes du fond de la mer dans cette région-là. Et puis, ils ont une importance particulière pour la gestion de la pêche. En fait, ça crée un environnement où certains poissons peuvent vivre pour des décennies. Les récifs sont très importants comme habitat pour beaucoup d’espèces. Un peu comme les récifs de coraux, qui sont des environnements où il y a une grande diversité d’organismes, des poissons et d’autres organismes. C’est pareil pour ces récifs-là dans cette région.
- Joel Houle
Comment gros sont les récifs?
- Philip Hill
Les récifs peuvent être quelques dizaines de mètres en hauteur et puis peuvent s’étendre sur des dizaines de kilomètres.
- Joel Houle
Le récif est très spécial : c’est une aire marine protégée et on a demandé à l’UNESCO de la désigner comme « site du patrimoine mondial ». Pourquoi est-il si important de protéger et de préserver les récifs?
- Philip Hill
Un peu comme je l’ai mentionné, c’est très important pour la gestion de la pêche. C’est un écosystème assez unique qui se trouve dans cette région du Pacifique uniquement. C’est aussi important comme analogue moderne pour les anciens dépôts qu’on trouve en Europe dans des roches entières dans cette région-là. On cartographie des récifs d’éponges siliceuses sur une partie très longue, 7000 kilomètres de longueur. Alors, c’est le plus gros système de récifs qu’on a découvert n’importe où sur la Terre. Donc, la découverte de ces éponges dans le milieu moderne est très important pour comprendre ces dépôts anciens, mais aussi ça représente quelque chose de très unique dans notre héritage.
- Joel Houle
Est-ce que les changements climatiques ont un impact sur les récifs?
- Philip Hill
Oui, potentiellement. On sait par exemple que ces éponges sont très affectées par la température de l’eau. Pour des régions où l’eau est peu profonde, c’est particulièrement important parce que la température de l’eau a changé à cause du changement climatique. Alors, si la température de l’eau change, d’une certaine façon, ça peut affecter la santé des éponges. Puis, c’est compliqué parce que la qualité de l’éponge dépend vraiment d’une grande variété de facteurs, mais surtout de la température et peut-être du niveau d’oxygène dans l’eau qui sont les deux facteurs les plus importants et qui peuvent changer avec le changement climatique. Donc, ça peut affecter les éponges dans les récifs.
- Joel Houle
Y a-t-il d’autres activités de recherche scientifique prévues dans un avenir prochain?
- Philip Hill
Pour nous autres, on continue de faire des missions. Et on a la chance de temps en temps de découvrir de nouveaux récifs. La plupart de la recherche est faite maintenant par des scientifiques de Pêches et Océans Canada qui sont très intéressés par les détails de l’écologie des récifs, des animaux qui y habitent, et puis par les relations entre les différents organismes. On commence à travailler beaucoup dans le domaine de ce qu’on appelle « ecosystem-based management » où certaines zones sont identifiées à cause de leur importance. Pas juste une espèce mais pour l’ensemble des espèces qui habitent dans ces régions. Encore une fois, les scientifiques de Pêches et Océans sont très intéressés à faire leur recherche dans ce domaine-là. Et bien sûr, l’effet des changements climatiques, c’est un autre domaine d’intérêt pour les scientifiques.
- Joel Houle
Si nos auditeurs veulent en savoir plus sur les récifs d’éponges siliceuses, où peuvent-ils trouver de l’information?
- Philip Hill
Probablement, la meilleure source d’information est sur le site Web de Pêches et Océans Canada.
- Joel Houle
Merci beaucoup Philip de nous avoir accordé cette entrevue.
- Philip Hill
Avec plaisir
- Joel Houle
On arrive à la fin de l’émission, mais ça ne veut pas dire que le sujet est fermé. On vous invite à poursuivre la conversation dans nos réseaux sociaux. Si vous avez des questions pour nos experts, ou des commentaires sur cet épisode, vous pouvez nous les adresser sur Twitter, accompagnés du mot-clic #DemandezÀRNCan. Également, si vous souhaitez en apprendre davantage sur les activités scientifiques de Ressources naturelles Canada, nous vous encourageons à visiter notre cybermagazine La science, tout simplement! Vous allez trouver une masse d’informations intéressantes : incluant les épisodes précédents de notre balado, des articles et des vidéos. La page spécifique à cette émission contient des liens électroniques à des ressources pertinentes pour en apprendre davantage sur le sujet discuté aujourd’hui. Vous pouvez accéder à La science, tout simplement directement à partir de notre site Web à rncan.gc.ca, ou en effectuant une recherche sur Google. Si vous nous écoutez sur Apple Podcast, Google Play, Stitcher ou SoundCloud, nous vous invitons à écrire un avis et à vous abonner à notre émission pour prendre connaissance des épisodes antérieurs et futurs. Voilà qui conclut cet épisode de Demandez à RNCan. Merci de nous avoir écoutés aujourd’hui et revenez-nous au prochain épisode!
Une plongée en profondeur dans la technologie
Lorsque Kim a vu les récifs d’éponges siliceuses pour la première fois, il a décidé d’utiliser de nouvelles technologies pour les faire connaître au monde entier. Les premières plongées vers les récifs se faisaient à bord d’un mini sous marin. Cependant, avec le développement des technologies submersibles et l’arrivée des véhicules sous-marins télécommandés, les scientifiques ont ensuite été en mesure de saisir des images sous-marines à distance, en temps réel et en toute sécurité. Ces derniers temps, les chercheurs travaillent avec des modèles 3D des récifs, créés par technologie à faisceaux multiples.
L’utilisation de techniques d’imagerie de pointe comporte de nombreux avantages. « Cette technologie nous a véritablement permis de comprendre la dimension spatiale des récifs », explique Kim. « Nous pouvons ainsi voir que les récifs se structurent en motifs sur le fond de l’océan. Étudier les récifs à l’aide de ces différentes technologies permet aux Canadiens et aux Canadiennes d’avoir une compréhension scientifique plus globale de ce qui existe vraiment au fond de l’océan. »
Retrouver un monde perdu
Pendant que s’approfondit notre connaissance de ces villes sous-marines, Kim et son équipe poursuivent leurs recherches pour en apprendre encore davantage sur les récifs et favoriser leur survie dans la région.
En collaboration avec Pêches et Océans Canada, RNCan participe actuellement à un nouveau programme de planification spatiale marine afin d’aider à cartographier la distribution des récifs d’éponges siliceuses sur le fond marin, et ce, dans le cadre d’efforts continus pour maintenir ces organismes uniques dans un milieu marin stable et sain.
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