La découverte de la tenthrède en zigzag de l’orme au Canada
La tenthrède en zigzag de l’orme, un insecte exotique s’attaquant aux ormes que l’on retrouve en Europe et en Asie, n’a jamais été trouvé en Amérique du Nord. Dans cet épisode, nous explorons comment une photo prise par un photographe de la nature a mené à la découverte de l’insecte au Canada.
Transcription
Joël Houle
Si vous pensez à votre quotidien et que vous êtes comme moi, vous ne prenez probablement pas souvent le temps de bien comprendre le monde qui vous entoure. Nous avons tous une vie bien remplie. Mais imaginez ce que vous pourriez découvrir près de vous si vous vous arrêtiez un moment! Dans cet épisode, nous parlerons d’une de ces découvertes – un surprenant motif en zigzag sur une feuille qui a été observé par un photographe de la nature et qui a fait beaucoup jaser les entomologistes.
Bienvenue à un nouvel épisode de La science simplifiée! Je suis votre animateur, Joël Houle. Aujourd’hui, nous allons parler de la découverte d’un insecte exotique qui est apparu pour la première fois en Amérique du Nord. Nous avons avec nous une chercheuse en entomologie qui fait partie de l’équipe qui a confirmé la présence de cet insecte au Canada. Sans plus tarder, accueillons notre spécialiste.
Joël Houle
Notre invité aujourd’hui est Véronique Martel, du Centre de foresterie des Laurentides. Véronique, ça va bien?
Véronique Martel
Oui, ça va bien, merci. Je m'habitue tranquillement au télétravail, mais je dois avouer que je m'ennuie de mes collègues un petit peu.
Joël Houle
Je ne te blâme pas. Tu n'es pas la seule. Je pense que tout le monde ici à Ottawa se sent dans le même bateau. En parlant de tes collègues, toi, tu es chercheuse en entomologie. Est-ce que tu peux nous expliquer le genre de travail que vous faites, toi et tes collègues?
Véronique Martel
Oui, l’entomologie, c'est l'étude des insectes. Évidemment, je suis spécialisée en foresterie, donc j’étudie les insectes forestiers, principalement les insectes ravageurs, ceux qui causent des dommages importants et ont un impact économique. On essaie de mieux les comprendre pour essayer de mieux prévoir leurs impacts ou encore pour tenter de lutter ou du moins d’atténuer leurs impacts sur l'économie.
Joël Houle
Cet été, l'été 2020, tu as été informée de la découverte d'un nouvel insecte exotique qui est apparu pour la première fois au Canada, soit la tenthrède de zigzag de l'orme. Est-ce que j’ai bien dit ça?
Véronique Martel
Oui, c'est la tenthrède de zigzag de l'orme.
Joël Houle
Parfait. Alors, comment l'insecte a-t-il été découvert? Et quelle a été ta réaction initiale quand tu as appris la nouvelle?
Véronique Martel
En fait, c'est quelqu'un qui a mis la photo d'une défoliation en forme de zigzag d'une feuille d'orme sur un site de science citoyenne qui s'appelle iNaturalist. C'est un site sur lequel des gens peuvent mettre des photos de nature, de plantes et d'animaux. Cette personne a mis la photo en pensant que c'était un dégât causé par des chenilles, parce que c'est typiquement les chenilles qui font des défoliations comme ça. Mais quelqu'un a vu la photo et a réalisé que c'était probablement un insecte qui n’est pas connu pour être présent non seulement au Canada, mais également en Amérique du Nord – la tenthrède en zigzag de l'orme. Il y a toute une chaîne de courriels qui a découlé de ça. J'ai reçu ce courriel, entre autres, mais l'Agence canadienne d'inspection des aliments l’a reçu aussi. On a travaillé ensemble pour aller voir sur place, sur le site, pour observer la défoliation en question et essayer de trouver un insecte. Parce qu’on a besoin de l'insecte pour confirmer l'identification. On a trouvé des insectes, on les a envoyés à Ottawa pour identification, puis la confirmation nous est arrivée au début de septembre – c'était bel et bien la tenthrède en zigzag de l'orme, observée pour la première fois en Amérique du Nord.
Joël Houle
Alors, est-ce que tu peux nous expliquer en quoi consiste vraiment cet insecte, ce qu’il fait, quelle est sa nature?
Véronique Martel
La tenthrède est un insecte qui est dans le même groupe que les fourmis, les guêpes et les abeilles. Ce sont les larves qui causent la défoliation. Ce qui est souvent le cas chez les insectes, d'ailleurs. Les œufs sont pondus sur le bord de la feuille, puis la larve va, à partir du bord, se nourrir en forme de zigzag entre les deux veines de la feuille. C'est un patron très typique et donc facile à observer. Puis éventuellement, la larve va faire un cocon pour qu'un nouvel adulte en émerge ensuite. Ce cycle va se refaire trois à quatre fois par année, du moins en Europe. On ne sait pas encore pour le Québec. Ça veut dire que des adultes sont produits trois ou quatre fois dans l'année, mais ça veut aussi dire qu'il est fort possible que les populations augmentent très rapidement. C'est une particularité qu’il est important de savoir, surtout dans le cas d'un insecte exotique.
Joël Houle
Wow! Alors combien de dommage l'insecte peut-il causer?
Véronique Martel
C'est de la défoliation. Les feuillus vont refaire des feuilles chaque année, chaque printemps. Dans ce cas-ci, la défoliation peut être très sévère. En Europe, il a été rapporté que la défoliation peut être de 100 % – finalement, un arbre pourrait se retrouver avec la totalité de ses feuilles mangées. Sauf que, quand ça se produit, l’arbre peut refaire de nouveaux bourgeons au cours de l'été, ce qui va lui permettre de se maintenir en vie. C'est sûr qu'une grosse défoliation comme ça peut affecter, ralentir la croissance de l'arbre. Mais jusqu'à maintenant, il n'y a pas vraiment eu de mortalité observée chez les arbres. Une branche peut mourir, mais pas l'arbre entier. Ceci étant dit, il faut faire attention, parce que l'orme a déjà une maladie qui l'attaque – la maladie hollandaise de l'orme. La combinaison maladie hollandaise de l'orme et tenthrède en zigzag de l'orme peut s'avérer mortelle pour un arbre. Le fait d'avoir les deux ravageurs en même temps. Mais l'insecte seul ne semble pas tuer les arbres. Reste à confirmer comment ça se passe ici au Québec. Tout est nouveau ici, mais pour le moment, on ne craint pas de mortalité.
Joël Houle
Tu as mentionné que cet insecte peut produire trois à quatre générations par année. Est-ce que c'est normal pour des insectes?
Véronique Martel
Certains insectes le font, mais il y a aussi beaucoup d'insectes qui ont seulement une génération par année, comme la tordeuse des bourgeons de l'épinette. Certains insectes auront même besoin de deux ans pour faire une seule génération, comme c'est le cas parfois pour l'agrile du frêne. Dans ce cas-ci, trois à quatre générations par année, c'est quand même beaucoup – ça veut dire que le développement se fait rapidement. Mais il y a un autre facteur qui intervient pour que les populations puissent augmenter vite. En plus d'avoir un développement rapide, quand l'adulte émerge, on ne trouve que des femelles. Ou du moins, il n'y a aucun mâle qui a été observé chez cette espèce-là, ce qui veut dire que les femelles n’ont pas besoin de s’accoupler. Normalement, l'insecte à l'émergence doit trouver un partenaire sexuel pour l'accouplement. C'est ce qui permet aux femelles de pondre des œufs. Mais dans ce cas-ci, les femelles émergent et sont prêtes à pondre des œufs sans avoir à trouver de partenaires sexuels. Ce facteur permet une augmentation des populations beaucoup plus rapide. Car, lorsque des insectes sont introduits d'un autre endroit ou d'un autre pays et qu’il y a très peu d'individus introduits à la fois, l'insecte n'arrivera parfois pas à s'établir parce que, justement, il y a une contrainte : il n'y a pas assez d'individus pour les accouplements. Mais dans ce cas-ci, ce n'est pas un problème : beaucoup de générations par année – trois ou quatre générations – et la ponte sans accouplement, ce sont des facteurs qui permettront à cet insecte de s'établir très facilement dans un nouvel environnement.
Joël Houle
Wow! C'est super intéressant. Si je comprends bien, la tenthrède vient originalement de l'Asie, mais tu as mentionné qu’on la trouve aussi en Europe. Est-ce qu'on sait comment elle est venue ici au Canada?
Véronique Martel
À la base, elle est présente en Asie. Elle a été découverte en Europe autour de 2003 et, depuis, elle s’est répartie de plus en plus en Europe. Nous, on l'a trouvée ici en 2020. On ne sait pas si elle est présente depuis quelques années, c'est l’une des questions qu’on se pose. On ne sait pas non plus si elle est arrivée ici d'Asie ou d'Europe en une ou plusieurs fois. C'est une question qu'on est en train d’étudier en génétique. Maintenant, ta question c'était : « Comment elle est arrivée? », et honnêtement, on ne le sait pas. Ce qu'on sait, c'est que cet insecte n'est pas présent dans le bois, contrairement à d'autres insectes, comme l'agrile du frêne et le longicorne étoilé, qui peuvent venir par le bois d'emballage ou autre. Ce n'est pas le cas, parce qu'elle est présente sur les feuilles. Dans le commerce des arbres généralement, il n'y a pas de feuilles sur les arbres au moment où ils sont importés, donc c'est peu probable qu’elle soit arrivée comme ça. Cependant, à l'hiver, le cocon tombe au sol et sera donc présent dans le sol. Est-ce qu’elle pourrait être venue par le sol qui est importé avec toutes sortes de plantes et d'arbres? Je ne sais pas. C'est une possibilité. Mais pour le moment, on n'est pas en mesure de dire exactement comment elle est arrivée, d’où elle venait et où exactement elle a été introduite.
Joël Houle
Qu'est-ce qu'on fait en ce moment pour gérer la situation? Est-ce qu'on peut éliminer l'insecte?
Véronique Martel
Non, on ne parle pas d'éradication. On pense en fait qu'elle est peut-être mieux installée qu'on le croyait au départ. La première observation par iNaturalist, c'était en Montérégie. On en a trouvé dans un rang en particulier. Quand on est retourné voir comme il faut, on s'est rendu compte que ce n'était pas juste un ou deux arbres qui étaient affectés, mais plusieurs dizaines. Déjà, ça montre que la tenthrède a réussi à s'installer au moins à cet endroit-là. Mais dans les semaines qui ont suivi, on a mis des messages sur Twitter et sur iNaturalist pour demander aux gens d'ouvrir l'œil. À ce moment-là, on s’est rendu compte qu'en fait, elle était présente plus globalement en Montérégie que ce qu'on pensait. Pas juste dans une municipalité, mais également sur l'île de Montréal. Et plus récemment, on a aussi vu qu'elle était probablement présente au nord de l'île, sur la rive nord. On se rend compte qu'elle est déjà plus présente que ce qu'on pensait au départ. Il est donc trop tard pour l'éradiquer. Pour le moment, on garde l'œil ouvert. Comme c'est l'automne, il est trop tard. Les feuilles tombent, alors on ne peut plus vraiment bien regarder. Mais dès le printemps prochain, avec l'Agence canadienne d'inspection des aliments, on va essayer de mieux définir sa distribution. C'est toujours la première étape à franchir avant de pouvoir lutter contre un insecte – déterminer où il se trouve. On va mieux comprendre aussi sa biologie. Combien de générations fait-il? Est-ce qu'il attaque toutes les espèces d'ormes? Ce sera une question importante. Ensuite, on verra. Est-ce qu'il y a lieu de lutter contre l'insecte? Ce n'est pas parce que l'insecte est présent et fait des dommages qu’il est toujours justifié de le combattre. Selon les conséquences de sa présence, c'est possible que la solution soit de surveiller, oui, et peut-être de ne pas lutter activement. Ce sera à déterminer.
Joël Houle
Puisqu'on dépend de la science citoyenne pour amasser de l'information sur la tenthrède en zigzag de l'orme, comment les gens peuvent-ils participer?
Véronique Martel
La chose qu'on demande aux gens de faire et qui a déjà commencé cet été – d'ailleurs, j'en profite pour remercier les gens qui le font parce que, surtout avec les contraintes de voyage que tout le monde a en ce moment, c'est plus difficile pour nous d'aller voir un peu partout – c'est de garder l'œil ouvert. La première étape, c'est de trouver un orme. Les ormes sont relativement faciles à trouver. Les feuilles sont dentelées, et la base de la feuille est asymétrique. C'est assez simple. Une fois qu'on a un orme, il s’agit de regarder. De lever la tête, de regarder les feuilles et d'essayer de trouver le fameux zigzag entre deux veines de la feuille. Et si on trouve ce zigzag-là, il y a de bonnes chances que l'insecte soit présent. Il s'agira alors de prévenir l'Agence canadienne d'inspection des aliments via son site Web. Ou peut-être de me contacter. Je suis moi-même en contact avec l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Ou encore de mettre la photo sur iNaturalist, par exemple. Idéalement, le mieux serait de faire les deux, de nous avertir aussi. Puis, en fonction du lieu, si c’est un endroit où on savait ou pas que cet insecte était présent, on va peut-être aller sur place et essayer de trouver des spécimens pour confirmer vraiment que l'insecte est présent et essayer de voir à quel point sa présence est importante sur ce site-là.
Joël Houle
On encourage toutes les personnes intéressées à participer à aller voir le site de l'ACIA ou à rentrer en contact avec Véronique directement sur son compte Twitter. On va inclure les liens dans la description. Véronique, merci beaucoup d'avoir pris le temps de jaser avec moi aujourd'hui!
Véronique Martel
Merci!
Joël Houle
J’ai bien aimé parler avec Véronique! C’était très intéressant d’apprendre à quel point les citoyens scientifiques occupent un rôle important dans l’ensemble du processus de découverte. J’imagine qu’il y a une limite à ce que les scientifiques et les chercheurs peuvent accomplir. Alors, avoir l’appui de citoyens scientifiques – ainsi que leurs yeux et leurs oreilles qui permettent de recueillir de précieux renseignements sur le terrain – peut s’avérer indispensable à la réussite d’un projet. Si vous souhaitez en savoir plus sur les occasions de participer à la science citoyenne, consultez le portail du gouvernement du Canada sur le sujet. Vous trouverez le lien dans la description de cet épisode, de même que des liens vers de l’information sur la tenthrède en zigzag de l’orme et d’autres espèces envahissantes qui menacent nos forêts.
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