Qu’est-ce qui rampe dans les forêts de l’Île-du-Prince-Édouard?
Les phéromones de coléoptères aident les scientifiques à répertorier des centaines de nouvelles espèces sur l’île
Juin 2020
Par Cameron Squance
Les scientifiques de Ressources naturelles Canada (RNCan) en ont littéralement plein les bras à fouiller les quatre coins de l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.) pour mieux connaître les coléoptères qui y ont élu domicile.
Jon Sweeney, chercheur au Centre de foresterie de l’Atlantique de RNCan, situé à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, s’est rendu à l’Î.-P.-É. pour la première fois en 2018 en compagnie des membres de son équipe, puis à nouveau en 2019, afin d’installer près de 40 pièges.
« J’ai constaté que seulement 899 espèces de coléoptères avaient été recensées à l’Î.-P.-É. », rappelle t il. Voilà qui peut sembler déjà pas mal, mais comme le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse en abritent environ 2700 espèces, notre chercheur se doutait bien que le compte n’y était pas. Il s’est dit : « Il y a probablement des espèces de coléoptères assez communes qui vivent incognito dans l’île, alors allons poser des pièges là-bas pour mener une petite expérience. »
De l’art de tendre un piège
Jon a donc préparé des expériences en ayant en tête deux objectifs principaux pour son équipe : découvrir la biodiversité des espèces de coléoptères de l’Î.-P.-É. et évaluer différentes techniques de piégeage pour la détection précoce de l’agrile du frêne, insecte nuisible bien connu, et de divers autres parasites forestiers potentiellement envahissants.
L’équipe a disposé douze pièges en forme d’entonnoir dans trois sites de recherche sur l’île – le même type de pièges qu’utilise l’Agence canadienne d’inspection des aliments pour capturer des scolytes et des buprestidés. Pour ces espèces, qui sont plus actives dans les étages inférieurs, on a placé six pièges de couleur noire à environ 1,5 mètre du sol, tandis que les six pièges en entonnoir verts ciblaient l’agrile du frêne et des espèces semblables dans le haut des arbres.
La conception des deux pièges est simple, mais efficace. « Ce n’est qu’une série d’entonnoirs. Ici, nous en avons douze qui s’emboîtent les uns dans les autres », explique Jon.
Les phéromones, eau de Cologne du coléoptère
Les pièges sont tout aussi simples à appâter. « Au fond, il y a une tasse dans laquelle nous versons du sel de table saturé et de l’eau. Nous utilisons aussi d’autres composants comme des phéromones de coléoptères ». Les phéromones sont des substances chimiques que sécrètent les coléoptères pour faire passer des messages à d’autres insectes. Elles sont généralement décrites comme une sorte de « parfum » irrésistible, primordial lors des rituels d’accouplement des insectes.
Dans le cas qui nous intéresse, Jon a utilisé des phéromones de longicornes, faciles à synthétiser et couramment utilisées dans les leurres, de même que de l’éthanol, un alcool à base de plantes très attrayant pour un grand nombre de coléoptères.
Il y a bien plus que des doryphores de la pomme de terre à l’Î.-P.-É.
Cet alléchant cocktail de phéromones se révèle très populaire, et l’expérience permet de découvrir de nombreuses espèces qui n’avaient pas encore été répertoriées.
En 2018, les chercheurs capturent 218 espèces qui ne figuraient pas dans le registre. Un an plus tard, ils en identifient 42 de plus, portant ainsi à 1368 le nombre d’espèces de coléoptères connues à l’Î.-P.-É.
Pendant le dénombrement et le catalogage des insectes, ils font une autre découverte : tous les coléoptères ne sont pas formés de la même façon. Ils varient considérablement, sur des points de détail, et certaines des caractéristiques qui les différencient les uns des autres peuvent être très difficiles à repérer à l’œil nu.
Dans ces cas-là, les scientifiques dissèquent des parties spécifiques de l’insecte et prennent des images diagnostiques très précises afin de pouvoir comparer ces caractéristiques dans l’avenir.
Les coléoptères sont un bon indicateur de l’état de santé général des forêts
Certains petits détails ont une grande importance et une grande utilité.
« Il est particulièrement important de connaître la biodiversité des coléoptères de l’île, soutient Jon. En sachant quelles espèces sont présentes à ce moment précis, nous pourrons surveiller les changements qui se produisent au fil du temps dans notre milieu naturel, que ce soit à cause de la perte d’habitat, des changements climatiques ou d’autres facteurs. »
De plus, la recherche d’information ne s’arrête jamais : d’ailleurs, Jon n’a encore capturé aucun agrile du frêne dans la région à l’aide de ses pièges. Mais la science avance, comme il se doit, et la recherche se poursuit en 2020, alors que l’ajout d’un autre lieu de piégeage est prévu.
Quelques infos sur les coléoptères
- L’ordre des coléoptères est celui qui compte le plus grand nombre d’espèces d’insectes répertoriées, soit environ 400 000. Par comparaison, il n’y a que 6400+ espèces de mammifères répertoriées.
- On trouve des coléoptères dans presque tous les habitats, sauf en mer et dans les régions polaires.
- Plus de 300 espèces sont consommées par l’homme dans diverses parties du monde, principalement au stade larvaire.
- Certaines espèces sont nuisibles, comme le dendroctone du pin ponderosa, qui ravage de nombreuses essences de pins.
- Cependant, certaines d’entre elles sont utiles, comme la coccinelle (famille des coccinellidés), bien connue de tous, qui se nourrit de pucerons, insectes ravageurs particulièrement destructeurs dans les secteurs agricole et forestier.
- Explore Jon Sweeney’s research (en anglais seulement)
- Dendroctone du pin ponderosa
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