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L'océan Arctique, source d'espoir pour le climat

Après sa découverte étonnante concernant les changements climatiques, Peta Mudie poursuit son travail

Juin 2020

Vous pensez qu'après une carrière impressionnante qui embrasse cinq décennies, quatre pays, trois continents, plusieurs océans et d'innombrables péripéties, Peta Mudie aspire sûrement à un repos bien mérité? Eh bien, détrompez-vous!

Aujourd'hui scientifique émérite à l'Institut océanographique de Bedford, à Dartmouth (Nouvelle-Écosse) – un centre de recherche du gouvernement du Canada et la plus grande station de recherche océanographique au pays –, Mme Mudie annonce avec une insistance modérée : « Nous voilà fondamentalement dans une nouvelle ère. Nous avions l'habitude de regarder le passé pour prédire l'avenir. »

Elle fait référence, bien sûr, aux changements climatiques, et parle – avec sa passion habituelle – de la nécessité d'agir tout de suite : « Nous sommes arrivés à un point de bascule où nous avons perdu la capacité de prévoir avec beaucoup de certitude ce qui nous attend. »

La question lui tient à cœur. D'ailleurs, elle s'y intéresse depuis toute petite.

Un iceberg flottant sur l'océan Arctique.

Le Rapport sur le climat changeant du Canada indique que le Canada se réchauffe environ deux fois plus rapidement que la planète dans son ensemble. Photo de David Burgess.

Une fillette, un microscope et un monde à découvrir

Pendant son enfance à Durban, en Afrique du Sud, Peta Mudie explore la nature sauvage de la jungle avec son forestier de père. Elle voit l'immensité de la nature de première main et de très près, et constate que l'étalement urbain gruge inexorablement les habitats des éléphants et des babouins.

Mais les petites choses l'ont toujours captivée davantage, et le microscope qu'elle reçoit en cadeau à l'âge de 11 ans embrase son imagination. Elle passe des heures à étudier les lichens et leur relation particulière avec les mondes inextricablement liés des champignons et des algues microscopiques.

« Je les ouvrais pour voir ce qu'il y avait à l'intérieur, pour essayer de comprendre comment ils fonctionnaient ensemble, se rappelle-t-elle. Explorer le monde minuscule, c'était ma façon de voir et d'appréhender le monde en général. »

Ces premiers pas ont débouché sur une vie entière de découverte scientifique.

microorganismes

Certains des microorganismes que Mme Mudie a recensés et étudiés.

Cap sur le nord pour d'autres aventures

Peta Mudie

Peta Mudie, l'une des premières scientifiques spécialistes des changements climatiques au Canada.

Après des séjours en Californie et en Angleterre, et avec deux jeunes enfants à élever, Mme Mudie entre à l'Université Dalhousie, à Halifax, en Nouvelle-Écosse, pour faire un doctorat en géologie.

Sa thèse est révolutionnaire. Personne à l'époque ne s'attend à trouver des dinoflagellés – une sorte de plancton marin unicellulaire propulsé par deux filaments (les flagelles) – dans l'océan Arctique qui est recouvert de glace. Or, sa recherche dans la baie de Baffin, au large de l'île de Baffin, au Nunavut, en confirme la présence. Elle démontre pour la première fois que des fossiles marins, combinés au pollen poussé par le vent dans les couches de sédiments sous le plancher océanique, pourraient fournir des preuves des changements climatiques anciens dans l'est du Canada.

Armée de ce savoir, la jeune scientifique entre comme chercheuse à Ressources naturelles Canada, où elle poursuit son étude de la dynamique environnementale et du climat, au sein d'une équipe enthousiaste et aventureuse.

Creuser pour comprendre l'évolution du climat

Le International Ocean Discovery Program (programme international de forage en haute mer) a d'ores et déjà beaucoup de potentiel. En outre, il est plus facile qu'avant de faire du carottage de sédiments anciens en haute mer. C’est à bord de navires de forage que Peta Mudie trouve de nouvelles façons d'étudier les fossiles de pollens et d'organismes aquatiques unicellulaires pour faciliter la datation des carottes de sédiments et brosser un tableau plus détaillé des changements climatiques et de la circulation océanique du passé.

Chef de projet pendant l'expédition Ice Island dans les années 1980, elle se joint au premier groupe de scientifiques canadiens qui utilise un iceberg à la dérive dans l'Arctique pour étudier le plancher océanique au nord de l'île d'Ellesmere, au Nunavut. Cette île, dixième en superficie dans le monde et troisième au Canada, accueille par ailleurs le point le plus septentrional de notre pays.

Les conditions sont difficiles, et le site ne semble guère prometteur. « On ne s'attendait pas à une grande diversité biologique au fond de l'océan à cet endroit, qui est inaccessible par bateau parce que couvert de sept mètres de glace, été comme hiver », se souvient Mme Mudie. L'équipe érige donc un camp de base spécial sur une banquise de 40 mètres d'épaisseur, puis tâche de percer un trou dans la glace pour y faire descendre les caméras et les sondes jusqu'au fond de l'océan.

Le projet  Ice Island à partir du camp de base du Programme du plateau continental polaire

Des scientifiques canadiens à pied d’œuvre et le camp de base du Programme du plateau continental polaire sur l’île de glace Hobson’s Choice vers 1985.

Une vive surprise au fond de la mer

Sous la banquise, les eaux glaciales sombres recèlent une heureuse surprise. « Contrairement à toutes nos attentes, nous avons découvert une impressionnante diversité d'animaux sur le plancher océanique et, surtout, il n'y avait pas de récifs coralliens mais des récifs d'éponges siliceuses, se souvient-elle. Or, ces énormes récifs étaient en train de mourir – pourquoi mouraient-ils? »

Préoccupée et curieuse, l'équipe décide d'y regarder de plus près. Les océanographes mesurent les températures et la salinité de l'eau jusqu'aux endroits les plus profonds. Ce qu'ils découvrent semble incroyable à l'époque : l'océan serait en train de se réchauffer au point d'empêcher la survie des récifs d'éponges siliceuses.

« C'était en quelque sorte le canari dans la mine, le premier signe d'un réchauffement planétaire intense, dit-elle. Déjà, ça frappait l'Arctique plus rapidement que le reste de la planète. »

Depuis cette découverte, son travail est devenu plus urgent.

Même retraitée, elle poursuit sa recherche sur l'Arctique

« La grande question maintenant, c'est la vitesse à laquelle ces changements se produisent à cause de ce qu'on appelle la commotion dans l'océan, la vitesse à laquelle les choses changent de saison en saison et d'année en année. C'est là que nous en sommes – nous naviguons dans un monde incertain. »

Mais dans l'incertitude, il y a toujours une lueur d'espoir.  « Je pense qu'au fond tous les scientifiques sont motivés par leur curiosité et leur désir d'améliorer les choses, indique Mme Mudie. Et tant que les choses peuvent être améliorées, nous y travaillons. »

À bien y penser, le microscope qu'elle a reçu à 11 ans était un très bon investissement – pour la chercheuse et sa longue carrière, mais aussi pour notre monde et son avenir.

Un symbole de persévérance et de dévouement

Au printemps 2020, Peta Mudie est élue membre de l'American Association for the Advancement of Science en raison de sa brillante carrière.

Officiellement retraitée de son poste de chercheuse à RNCan depuis 2001, elle demeure une scientifique émérite active à la Commission géologique du Canada–Atlantique à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse.

En 1991, Mme Mudie est élue membre de la Société royale du Canada pour son travail établissant l'importance de la palynologie marine – l'étude des spores et grains de pollen anciens – dans le domaine de la paléoécologie.

Elle occupe actuellement un poste de professeure auxiliaire à l’Université Dalhousie.

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