Introduction - Prairies
La plupart des modèles climatiques laissent prévoir de grandes élévations de la température annuelle moyenne aux hautes latitudes de l'hémisphère Nord (Cubasch et al. 2001). Conformément à ces prévisions, les températures enregistrées dans les provinces des Prairies indiquent d'importantes tendances à la hausse, en particulier depuis les années 1970 (voir la figure 1). Les conséquences favorables de ce réchauffement général, en particulier l'élévation des températures printanières, sont un allongement et un réchauffement de la saison de croissance, et une augmentation de la productivité des forêts, des cultures et des prairies là où l'humidité du sol est adéquate.
Malheureusement, on prévoit également un assèchement estival des régions centrales des continents sur toute la planète, car l'augmentation des pertes d'eau par évapotranspiration ne sera pas compensée par un accroissement des précipitations (Gregory et al., 1997; Cubasch et al. 2001). Les prévisions vont de déficits légers d'humidité dans le sol (Seneviratne et al., 2002) à des déficits graves (Wetherald et Manabe, 1999), principalement en fonction de la complexité de la simulation des processus en jeu à la surface des terres. Le taux d'aridité accru aura des conséquences majeures pour les provinces des Prairies, soit la région la plus étendue et la plus sèche du Canada. Les déficits hydriques à court terme (sécheresses) périodiques ont un effet sur l'économie, l'histoire, l'environnement et la culture des Prairies. Toutes les régions du pays connaissent des déficits en eau saisonniers, mais ce n'est que dans les provinces des Prairies que les précipitations peuvent cesser pendant plus d'un mois, que l'eau de surface peut disparaître pendant des saisons entières, et que les déficits en eau peuvent persister pendant des décennies ou plus, autant de phénomènes susceptibles de créer un risque de désertification des paysages.
La baisse des niveaux des lacs des Prairies (voir la figure 2) semble indiquer également que l'on assiste à la création d'un milieu en voie d'assèchement. Les lacs à bassin fermé sont des indicateurs sensibles des changements hydrologiques et climatiques (van der Kamp et Keir, 2005; van der Kamp et al., 2006). Les fluctuations du niveau des lacs peuvent être liées à l'utilisation des terres et aux dérivations des eaux, mais les tendances similaires observées dans des lacs de l'ensemble des Prairies mettent en cause des paramètres climatiques, en particulier les hausses des températures, les changements dans la quantité de neige (Gan, 1998), les changements de l'intensité des pluies (Akinremi et al., 1999) et les bilans hydriques de ces lacs.
Les collectivités et les institutions des provinces des Prairies sont très aptes à tirer avantage des températures plus élevées et à minimiser les répercussions nuisibles du changement climatique en raison de leur abondance relative de capital financier, de capital social et de capital naturel. On constate cependant des disparit és à l'échelle de la sous-région qui sont le produit des forces et des faiblesses reliées aux facteurs déterminants de la capacité d'adaptation (voir le tableau 1). Il existe, cependant, des facteurs socioé-conomiques et environnementaux clés sous-jacents à la vulnérabilité de la région au changement climatique. Par exemple, les Prairies :
- constituent la plus vaste région de terres sèches du Canada, où les déficits en eau saisonniers et prolongés définissent le milieu naturel et influent fortement sur les activités humaines;
- englobent plus de 80 p. 100 des terres agricoles du Canada, où la production et les paysages sont sensibles à la variabilité du climat;
- comptent sur l'eau d'irrigation provenant des Rocheuses, dont l'hydrologie est sujette à subir les effets du changement climatique;
- jouissent d'un climat qui, depuis la colonisation par les Européens, n'a pas été marqué par les sécheresses prolongées des siècles antérieurs;
- subiront, selon certains scénarios de changement climatique, des sécheresses plus graves;
- ont besoin d'eau pour traiter les plus grandes réserves de pétrole et de gaz du Canada;
- comprennent les villes et les économies qui connaissent la croissance la plus rapide du Canada;
- ont la plus forte concentration de populations autochtones au Canada à l'extérieur des Territoires du Nord-Ouest, ces dernières constituant d'ailleurs le segment de la population de la région dont la croissance est la plus rapide.
Élément déterminant | Force | Faiblesses |
---|---|---|
Ressources économiquement exploitables | Importantes, spécialement en Alberta et dans les centres urbains | Les collectivités rurales éloignées manquent de diversification économique; individus par rapport aux entreprises (p. ex., les fermes familiales par rapport aux fermes constituées en sociétés) |
Technologie | Énergie de remplacement et technologies de réduction des émissions de gaz à effet de serre | Moins de technologies d'adaptation (p. ex., conservation de l'eau) |
Information et compétences | Divers programmes de recherche sur le changement climatique en association avec les universités et les organismes gouvernementaux | Restrictions dans les programmes de surveillance du climat et de l'eau; compréhension médiocre des dimensions sociales du changement climatique |
Infrastructures | Bien développées dans les régions peuplées; conceptions actuelles qui tiennent compte du changement climatique (p. ex., canal de dérivation de Winnipeg); les retards dans la modernisation et le remplacement des infrastructures fournissent des possibilités de tenir compte du climat futur | Vaste superficie (p. ex., la Saskatchewan a plus de routes que toute autre province : Nix, 1995); déficits provenant des restrictions budgétaires imposées dans les années 1990 |
Institutions | Engagement dans le renforcement des capacités et l'évaluation de la vulnérabilité (p. ex., l'évaluation de la vulnérabilité par l'Alberta; Davidson, 2006; Sauchyn et al., 2007) | Accent mis sur l'atténuation; on ne fait que commencer à élaborer des stratégies d'adaptation |
Équité | Programmes sociaux | Répercussions sur la santé des populations plus vulnérables : Premières nations, collectivités rurales, en particulier les établissements éloignés, les personnes âgées et les enfants |
Bien que les prairies ne représentent en fait qu'environ 25 p. 100 de la surface totale des provinces des Prairies, les Canadiens donnent néanmoins à ces dernières le nom de « Prairies », terminologie qui est donc adoptée dans le présent document. Pour traiter de l'écosystème des Prairies dans ce chapitre, les auteurs ont recours à la désignation officielle « écozone des Prairies », « prairie », ou « prairie mixte ». Ces concepts géographiques sont définis dans la section qui suit, laquelle expose brièvement l'environnement et l'économie des provinces des Prairies. La section 2 décrit les caractéristiques climatiques et socio-économiques qui exposent la population aux possibilités et aux risques actuels et futurs liés au climat. Dans les sections 3 et 4, on discute des sensibilités au climat actuel et des principales vulnérabilités au changement climatique du point de vue du capital naturel et des secteurs socio- économiques. Le processus d'adaptation et le concept de capacité d'adaptation sont étudiés à la section 5. Le chapitre se termine par une synthèse des principales conclusions.
1.1 DESCRIPTION DES PROVINCES DES PRAIRIES
Avec une population de 5 428 500 habitants et une superficie de près de deux millions de kilomètres carrés de terres et de plans d'eau, les provinces des Prairies représentent 20 p. 100 de la superficie du Canada (voir le tableau 2) et 17 p. 100 de sa population. L'Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba ont des superficies à peu près égales, mais leurs populations ne le sont pas (voir le tableau 3). Les populations sont à caractère de plus en plus urbain (centres de plus de 1 000 habitants) et sont concentrées en Alberta. Entre 1901 et 2001, la proportion de la population de cette région classée urbaine s'est accrue, passant de moins de 25 p. 100 à plus de 75 p. 100 (voir la section 2.1).
Superficie totale | Terres | Eau douce | Pourcentage de la superficie totale |
|
---|---|---|---|---|
Canada | 9 984 670 | 9 093 507 | 891 163 | 100,0 |
Manitoba | 647 797 | 553 556 | 94 241 | 6,5 |
Saskatchewan | 651 036 | 591 670 | 59 366 | 6,5 |
Alberta | 661 848 | 642 317 | 19 531 | 6,6 |
Provinces des Prairies | 1 960 681 | 1 787 543 | 173 138 | 19,6 |
Population (en milliers d'habitants) | ||
---|---|---|
2001 | 2005 | |
Canada | 31 021,3 | 32 270,5 |
Manitoba | 1 151,3 | 1 177,6 |
Saskatchewan | 1 000,1 | 994,1 |
Alberta | 3 056,7 | 3 256,8 |
Provinces des Prairies | 5 208,1 | 5 428,5 |
Les provinces des Prairies s'étendent vers l'ouest à partir de la baie d'Hudson juà la crête des montagnes Rocheuses. Elles englobent donc plusieurs grandes zones climatiques, biog éographiques et géologiques, et des bassins hydrographiques (voir la figure 3). Cette région étant située à moyenne latitude dans la zone d'ombre pluviométrique des montagnes Rocheuses, le climat y est généralement froid et subhumide. Les températures saisonnières se caractérisent par des différences extrêmes; par exemple, de 1971 à 1990, les températures moyennes durant les mois les plus froids et les mois les plus chauds ont été de -7,8 ºC et de 15,5 ºC à Lethbridge, et de -17,8 ºC et de 19,5 ºC à Winnipeg. Les températures annuelles moyennes les plus élevées sont enregistrées dans le sud de l'Alberta, où les épisodes de chinook les réchauffent l'hiver; elles décroissent vers le nord de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba, qui connaissent des étés courts et frais et des hivers froids (voir la figure 4a). Les précipitations annuelles varient considérablement d'une année à l'autre, allant de moins de 300 mm dans la prairie semi-arà environ 700 mm dans le centre du Manitoba (voir la Figure 4b) et à plus de 1 000 mm dans les parties les plus élevées des Rocheuses. Partout dans les provinces des Prairies, la neige joue un rôle important pour le stockage de l'eau et l'apport de l'humidité du sol. Les mois les plus humides vont d'avril à juin.
Les régimes de températures et de précipitations présentés à la figure 4 se traduisent par un déficit hydrique annuel dans les plaines du sud et de l'ouest, et par un surplus dans les Rocheuses et les contreforts, ainsi que dans le nord et l'est de la forêt boréale. La majorité du ruissellement provenant de ces régions plus humides est transportée vers l'est par le réseau hydrographique de la Saskatchewan, du Nelson et de la Churchill, jusque dans la baie d'Hudson, et vers le nord par les rivières Athabasca, de la Paix et Hay, jusqu'au Mackenzie et à l'océan Arctique (voir la figure 3). La quantité d'eau de ruissellement générée dans tout le sud des Prairies est faible, et de grandes superficies sont drainées par des cours d'eau intérieurs intermittents. Les quelques cours d'eau permanents du sud sont donc importants en tant que sources d'eau locales. Les rivières qui traversent les plaines du sud, dont l'eau fait l'objet d'une forte demande, présentent un contraste marqué avec les grandes rivières, les innombrables lacs et les populations éparses des forêts et du bouclier du Nord.
1.2 ENVIRONNEMENT ET ÉCONOMIE PAR ÉCOZONE
Sept écozones de la classification écologique des terres du Canada sont situées à l'intérieur des provinces des Prairies (voir la figure 5). Les écozones des Prairies et des plaines boréales comptent pour plus de 50 p. 100 de la superficie et englobent la majorité de la population. Les 25 p. 100 des provinces des Prairies qui constituent l'écozone des Prairies représentent le cœur agricole et industriel de la région. Il s'agit aussi de la région du pays qui a subi les modifications les plus grandes – il n'y reste que des vestiges des prairies mixtes et d'herbes hautes originelles, et moins de la moitié des terres humides d'avant la colonisation. La configuration des établissements reflète leurs fonctions d'origine en tant que centres de services régionaux et points de collecte des produits agricoles le long des voies ferrées. Des centaines de collectivités ont disparu en raison de l'exode rural, du remembrement des exploitations agricoles et du système de collecte du grain, de l'abandon des voies ferrées et de la concentration des populations, des services et des richesses dans les centres urbains. Récemment, le Groupe financier de la banque TD (2005) a signalé que le PIB par habitant (une mesure du niveau de vie) dans le corridor de Calgary-Edmonton s'est accru de 4 000 $US entre 2000 et 2003, pour atteindre 44 000 $US, soit 47 p. 100 de plus que la moyenne canadienne.
Les provinces des Prairies comptent près de 50 p. 100 des fermes du Canada, mais plus de 80 p. 100 de ses terres agricoles (voir le tableau 4), principalement dans l'écozone des Prairies. Par le passé, l'exportation de céréales, d'oléagineux et de produits animaux a été une source importante d'échanges avec l'étranger pour le Canada. Maintenant, l'agriculture ne représente qu'un faible pourcentage du PIB des provinces par rapport à d'autres industries (voir la section 2.2), en particulier l'exploitation minière et la production d'énergie. La taille moyenne des fermes est beaucoup plus grande en Saskatchewan (plus de 500 ha) que dans les deux autres provinces. L'écozone des Prairies est caractérisée par des déficits en eau persistants et parfois graves. Les sécheresses sont très fréquentes et graves dans les prairies mixtes, l'une des cinq écorégions qu'englobe l'écozone des Prairies. Cette région est communément appelée « le triangle de Palliser », parce qu'elle a été décrite comme étant « comparativement inutile pour toujours » par John Palliser, après un levé effectué de 1857 à 1859. Dans cette sous-région du sud de l'Alberta et du sud-ouest de la Saskatchewan, la production de cultures agricoles et de fourrage est maintenue par l'irrigation, laquelle dépend de l'eau de ruissellement provenant des Rocheuses. L'irrigation représente la principale utilisation de l'eau en Alberta et en Saskatchewan, l'Alberta comptant presque deux tiers des terres irriguées du Canada. Au nord des prairies et de la tremblaie, la végétation se transforme en forêts mixtes et de conifères – il y a environ 93 millions d'hectares de forêts dans les provinces des Prairies. L'écozone des Plaines boréales du centre du Manitoba et de la Saskatchewan, et de la majeure partie du centre et du nord de l'Alberta a été la première région visitée par les Européens, car on y trouve des rivières navigables et des animaux à fourrure. Les plaines boréales sont maintenant de nouveau une région pionnière; en effet, elles comprennent d'importantes réserves de pétrole et de gaz, presque toute l'exploitation forestière commerciale, des terres agricoles en expansion dans le nord de l'Alberta et des centrales hydroélectriques au Manitoba et en Saskatchewan. Dans cette écozone, les populations autochtones ont conservé un mode de vie traditionnel et, pour elles, les espèces sauvages représentent des ressources particulièrement précieuses.
Alberta | Saskatchewan | Manitoba | Prairies | Canada | |
---|---|---|---|---|---|
Nombre total de fermes |
53 652 | 50 598 | 21 071 | 125 321 | 246 923 |
Superficie en hectares |
21 067 486 | 26 265 645 | 7 601 779 | 54 934 910 | 67 502 447 |
L'écozone du Bouclier boréal se trouve au nord et à l'est des plaines intérieures du nord de la Saskatchewan ainsi que du nord et de l'est du Manitoba. La mise en valeur des ressources des régions pionnières, en particulier l'exploitation minière, y constitue la pierre angulaire de l'économie. Les nations cries et dénées forment la majorité de la population.
Les quatre écozones restantes se trouvent sur les marges des provinces des Prairies et n'englobent qu'une petite partie de la superficie et de la population. L'écozone de la taïga des Plaines s'étend de la vallée du Mackenzie, dans les Territoires du Nord-Ouest, jusqu'aux vallées de ses tributaires du nord-ouest de l'Alberta. La productivité de la forêt de la taïga est restreinte par le climat plus froid et la courte saison de croissance. L'Écozone de la taïga du Bouclier traverse la région subarctique canadienne, y compris les extrémités nordiques du Manitoba et de la Saskatchewan et une petite partie du nord-est de l'Alberta. Comme le bouclier boréal, elle contient de riches ressources minérales et soutient le mode de vie traditionnel des nations cries et dénées. L'écozone des Plaines hudsoniennes, adjacente à la baie d'Hudson, dans le nord-est du Manitoba, est dominée par de vastes surfaces de terres humides. La ville de Churchill est un port de mer et un terminal ferroviaire d'importance. L'écozone de la Cordillère montagnarde, située dans les montagnes Rocheuses de l'ouest de l'Alberta, comporte une grande diversité écologique associée à des paysages de hauts reliefs allant des prairà fétuque, de faible élévation, à la forêt montagnarde, aux forêts subalpines et à la toundra alpine. Les activités économiques dominantes y sont l'élevage du bétail et les loisirs au grand air. Une bonne partie de cette région est désignée en tant que parcs nationaux et provinciaux et zones protégées. L'exploitation des ressources, le charbonnage, l'exploitation forestière et la production de pétrole et de gaz entrent de plus en plus en conflit avec la protection de l'écologie et des bassins hydrographiques. La neige accumulée dans les montagnes et les glaciers de la Cordillère est la source de la majeure partie de l'écoulement des rivières et de l'approvisionnement en eau de tout le sud des Prairies.
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