Quels seront les impacts des changements climatiques sur les ressources en eau du Canada?
Pour espérer s’adapter aux changements climatiques, il faut être en mesure de prévoir les tendances, ce qui exige de pouvoir compter sur de bons modèles basés sur des données fiables. Après trois années de travail de recherche-développement intensif, nous disposons maintenant d’une première simulation à grande échelle des impacts des changements climatiques sur les eaux souterraines et superficielles au Canada. Ce nouveau modèle – Canada1Water (C1W) – brosse, grâce à la science, un portrait de la situation jusqu’à la fin du siècle.
Mai 2024
« Il faut avoir une vue d’ensemble pour prendre des décisions éclairées », lance Hazen Russell, co-chef de Canada1Water (C1W) et scientifique au Programme géoscientifique des eaux souterraines de la Commission géologique du Canada. « C’est justement ce que Canada1Water nous fournit en combinant des milliers de points de données dans un modèle intégré qui montre comment les niveaux des eaux souterraines et superficielles pourraient changer au pays au cours des 75 prochaines années. »
Ce modèle et des ressources connexes se trouvent dans un portail web convivial, qui permet de télécharger des simulations et des ensembles de données finalisés allant de 1981 jusqu’à la fin du 21e siècle.
Produire un tel modèle en trois ans à peine relève de l’exploit. Ce tour de force a exigé un effort concerté de la part de scientifiques de disciplines variées.
Ajoutons que le projet arrive à point, étant donné les inquiétudes grandissantes soulevées par la disponibilité de l’eau douce à l’échelle mondiale. Certains chercheurs craignent une crise de l’eau souterraine, et des histoires de tarissement des nappes continuent de faire la manchette.
Grands enjeux, gros défis
L’eau est essentielle à la vie sur Terre. Il ne serait d’ailleurs pas exagéré d’affirmer que c’est la ressource la plus importante sur notre planète. Quand l’approvisionnement en eau décline, tout est compromis, tant notre santé et notre sécurité alimentaire que l’économie ou la stabilité géopolitique. Les eaux souterraines revêtent une importance particulière, puisqu’elles alimentent au moins la moitié de toutes les eaux de surface, dont les ruisseaux, les rivières, les fleuves, les lacs et même les océans.
Un défi de taille
Dissimulées sous terre, où il est compliqué de les voir et de les mesurer, les réserves d’eau souterraine sont difficiles à évaluer avec précision. Et même si des entreprises et le gouvernement du Canada surveillent nos ressources en eau, leurs efforts ne permettent pas d'obtenir une image cohérente du pays dans son ensemble.
Le travail de l’équipe de C1W a donc consisté en grande partie à combler ce manque d’informations et d’autres lacunes. Tout ça a exigé un large éventail de compétences, notamment en hydrologie, géologie, sédimentologie, géophysique, climatologie et foresterie, ainsi qu’en dynamique des fluides, science des données, développement de logiciels, etc.
La somme des compétences et des connaissances que ce projet a mobilisées – au gouvernement, dans le secteur privé et dans la sphère universitaire – témoigne de la complexité de l’hydrologie, selon Steven Frey, qui codirige le projet avec Hazen Russell et est aussi directeur de la recherche à Aquanty, une entreprise privée spécialisée dans les sciences de l’eau.
Déchiffrer le code
La création de la simulation Canada1Water n’a pas été une mince affaire. Simplement pour construire la base, l’équipe a dû combiner trois modèles différents : un pour le climat, un pour les processus de surface et un pour les régimes d’écoulement des eaux souterraines et des eaux de surface. Afin que chacun de ces modèles soit complet et précis pour le Canada, l’équipe a ajouté des dizaines d’ensembles de données plus détaillés.
« Rapidement, on a constaté que les ensembles de données étaient incomplets, n’étaient pas à la même échelle que nos autres ensembles ou ne correspondaient pas aux observations réelles, raconte Eric Kessel, hydrogéologue à Aquanty. On a dû arranger ça petit à petit pour que tout fonctionne. »
Des éléments importants comme les affleurements rocheux (portions du substrat rocheux visibles à la surface du sol) ou les tourbières étaient absents de certaines cartes existantes. Or, les tourbières sont une caractéristique distinctive de nombreuses zones du paysage canadien et elles influent sur l’écoulement de l’eau.
« Comme les affleurements rocheux et les tourbières représentent près de 25 % de la superficie totale du pays, il a fallu les ajouter à nos cartes pédologiques », précise M. Kessel.
L’équipe a également dû composer avec une réalité bien canadienne – la neige –, qui présente des caractéristiques particulières et n’est pas mesurée partout. L’équipe a recueilli toutes les données d’observation possibles, puis a complété le tout en développant une technique d’apprentissage automatique innovante conçue pour corriger avec précision les modèles de fonte des neiges.
Les résultats préliminaires montrent les changements à venir
L’équipe a exécuté les premières versions de la simulation dans des régions bien définies afin d’affiner le modèle. Elle s’est d’abord concentrée sur le bassin du fleuve Mackenzie, où la simulation a dégagé des tendances précises pour le nord-ouest du pays : des hivers plus humides, des étés plus secs et une baisse du niveau des réserves d’eau souterraine d’ici la fin du siècle.
Il pourrait être fort utile de comprendre ces tendances, entre autres pour l’aménagement des agglomérations, la planification des infrastructures, la gestion des feux de forêt et la production alimentaire.
« En ayant la capacité d’explorer le cycle hydrologique de manière interactive, du niveau local jusqu’à l’échelle continentale, on pourra cerner les relations d’interdépendance entre l’hydrologie et le climat comme jamais auparavant », prévoit David Lapen, chercheur scientifique et chef du projet C1W à Agriculture et Agroalimentaire Canada. « Ça nous éclairera aussi sur les moyens à prendre pour faire face aux pressions liées à l’eau dans l’avenir, ce qui est particulièrement intéressant pour l’agriculture. »
Hazen Russell espère que le lancement de C1W annonce le début d’un projet au long cours. Il évoque des projets similaires aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Danemark et dans d’autres pays, qui disposent d’un soutien durable pour élaborer des modèles nationaux de gestion de l’eau. C1W a reçu du financement pour cinq ans de plus de la part de la Commission géologique du Canada et continuera à chercher des partenaires.
« Après tout le travail qu’on a fait sur ce modèle, on a hâte que les gens s’en servent, s’exclame Hazen. On veut approfondir l’analyse et continuer à combler les lacunes de la simulation afin d’aider la société à s’adapter à des ressources en eau qui changeront au cours des prochaines décennies. »
Complément d’information
Canada1Water modèle (en anglais)
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