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Explorer la frontière fongique : le rôle de la mycologie dans la préservation de la santé des forêts canadiennes

La recherche en mycologie et en pathologie forestière contribue à la protection de nos forêts dans un climat en changement

Octobre 2024

Par Madison VanCamp

Lorsque Joey Tanney, chercheur au Service canadien des forêts (SCF), dit qu’il est mycologue, la plupart des gens ne pensent qu’aux champignons. Mais la mycologie ne se résume pas qu’aux champignons. Les champignons qu’on voit pousser dans une forêt sont comme la pointe d’un iceberg; ils ne représentent qu’une fraction de la diversité des espèces fongiques.

Un homme souriant, debout dans un herbier avec des troncs d’arbres et des étagères d’échantillons à l’arrière-plan.

Joey Tanney, chercheur du SCF, dans l’herbier du Centre de foresterie du Pacifique

« Je pense que ce qui surprend les gens, c’est que les champignons présentent une plus grande similitude avec les animaux qu’avec les plantes, explique Joey. Chez les champignons, on compte entre 2,5 et 5 millions d’espèces ». Parmi elles, seules 150 000 espèces environ sont connues et répertoriées.

Les chercheurs de RNCan et leurs prédécesseurs ont passé plus d’un siècle à cataloguer les divers champignons des forêts canadiennes et à étudier leurs fonctions. Le SCF a rassemblé et catalogué une grande partie de ces travaux dans ses deux herbiers; un au Centre de foresterie du Pacifique (CFP), à Victoria, en Colombie-Britannique, et un autre au Centre de foresterie des Laurentides, à Québec, qui comprennent actuellement plus de 35 300 et 25 000 spécimens de champignons, respectivement.

Ces collections d’herbiers s’enrichissent constamment grâce aux spécimens ajoutés par les employés du SCF et d’autres collaborateurs, tels que le Centre de foresterie des Laurentides, divers centres de recherche et de développement canadiens et des universités de partout en Amérique du Nord.

Le rôle des champignons et de la mycologie

La mycologie est une science qui peut sembler obscure pour bien des gens, mais les champignons sont partout et touchent tous les aspects de notre vie. De la fabrication de jeans, de chocolat et de produits pharmaceutiques essentiels, à causer des maladies graves et perturber l’approvisionnement alimentaire mondial – les champignons font partie intégrante de tout cela.

« Ils ont un impact très profond sur l’humanité : ils en ont toujours eu un et en auront toujours », déclare Joey.

Les champignons jouent également un rôle essentiel dans le maintien de la santé des forêts et de leur biodiversité. Joey est un généraliste de tous les champignons, et il étudie actuellement les différentes espèces de champignons pathogènes et auxiliaires de culture (bénéfiques), ainsi que leur influence sur la santé des arbres.

L’un des projets de Joey porte sur la maladie de la suie, une infection causée par un champignon qui s’attaque aux érables et qui apparaît généralement après des vagues de chaleur ou des sécheresses graves. La maladie a été signalée pour la première fois sur la côte ouest en 2020, un an après le « dôme de chaleur » de 2019, qui a entraîné des températures supérieures à 40 C en Colombie-Britannique. Bien que l’on ne sache pas si la maladie est originaire de la côte ouest du Canada ou si elle a été introduite, elle a été constatée sur des érables sycomores et des érables de Norvège et peut tuer un arbre dans les mois suivant l’apparition des premiers symptômes.

Photo de marbrures sur le tronc d’un arbre causées par la maladie de la suie.

Tronc d’arbre touché par la maladie de la suie.

De plus en plus de cas apparaissent chaque année. La maladie a été constatée pour la première fois cette année sur les érables à grandes feuilles, ce qui préoccupe les chercheurs en raison de la nouveauté de la maladie et de l’incertitude quant à la gravité, à l’étendue et à l’importance de ces cas. Joey et son équipe travaillent actuellement à la mise au point de tests de diagnostic et collaborent avec des chercheurs d’autres pays afin d’en savoir plus sur le champignon et sur la manière d’y faire face.

Photos de petits champignons bruns, avec images en gros plan et images prises au microscope.

Photos et images prises au microscope du champignon Kuehneromyces lignicola.

Atténuer les menaces liées aux champignons

Joey étudie également une autre maladie endémique qui prend de l’importance en raison des changements climatiques : la rouille suisse des aiguilles, qui affecte les douglas de Menzies. Plutôt que de tuer les arbres, cette maladie réduit fortement leur croissance en volume — et a donc un impact considérable sur le rendement ce qui constitue une préoccupation majeure pour l’industrie forestière.

Joey a commencé à explorer les possibilités de traitement de la maladie à l’aide de champignons auxiliaires des cultures appelés endophytes, qui, selon les chercheurs, pourraient constituer un outil puissant pour lutter contre les maladies forestières.

Les champignons endophytes peuvent être comparés à la flore bénéfique du microbiote humain. Il s’agit de champignons qui vivent à l’intérieur des tissus des plantes sans leur être nuisibles. Ils jouent au contraire un rôle bénéfique essentiel. Dans le cadre de la lutte contre la rouille suisse des aiguilles, Joey étudie les espèces endophytes qui vivent à l’intérieur des aiguilles des douglas de Menzies. Jusqu’à présent, des dizaines d’espèces de champignons endophytes ont été recensées et des milliers de cultures ont été isolées à partir de celles-ci.

En collaboration avec un chimiste de l’Université Carleton, à Ottawa, Joey cherche maintenant à voir comment ces endophytes pourraient combattre le champignon responsable de la rouille suisse des aiguilles. Les endophytes vivant dans des aiguilles saines peuvent produire des substances antifongiques qui inhibent la croissance du champignon de la rouille suisse des aiguilles. Joey et son équipe inoculent donc des semis de douglas en serre avec une espèce de champignon endophyte.

« L’idée est d’essayer de réinoculer ces champignons dans les arbres et d’analyser ensuite leur effet sur la progression de la maladie de la rouille suisse des aiguilles, explique Joey. Nous utilisons donc nos espèces indigènes de champignons pour aider à combattre une maladie liée aux changements climatiques. »

Par la même occasion, Joey et son équipe découvrent de nombreuses nouvelles espèces de champignons endophytes et étudient la possibilité de les utiliser pour lutter contre d’autres maladies forestières.

Compilation de trois photographies : une feuille avec des taches fongiques, des champignons sur le sol de la forêt et Joey dans la forêt montrant une feuille a un enfant.

Joey trouve toujours quelque chose de nouveau et de captivant à étudier dans la forêt.

« C’est passionnant de découvrir de nouvelles espèces. Toutefois, il y en a plus qu’il n’y a de mycologues, et on n’arrivera donc pas à les identifier toutes, confie Joey. Je pourrais aller chercher une poignée de terre, et si vous me donnez quelques jours, je pourrais probablement trouver de nouvelles espèces – je découvre constamment de nouvelles espèces dans nos forêts. »

L’héritage de la mycologie et sa préservation

La pathologie forestière est un champ d’étude qui sera d’autant plus important au vu des effets des changements climatiques sur nos forêts. Des hivers plus chauds, des printemps plus humides et des étés plus secs sont autant de facteurs qui provoquent des maladies qui n’ont jamais été observées auparavant. Joey espère que l’importance de la pathologie forestière se traduira par un soutien en faveur de ce domaine, alors que les mycologues continuent de bâtir la taxonomie des champignons et de définir leurs utilisations au fur et à mesure que de nouvelles espèces sont découvertes.

« Si on ne soutient pas ces travaux de recherche, on ne peut pas espérer disposer de ces connaissances et de cette expérience au moment voulu en claquant des doigts; il faut assurer une certaine continuité, prévient Joey. Nous pouvons mettre ces connaissances au service du public, car ces champignons sont importants pour la santé de nos forêts, pour l’industrie forestière et pour le commerce de produits forestiers. »

Alors que le Service canadien des forêts célèbre son 125e anniversaire, cette occasion revêt une importance particulière pour les chercheurs comme Joey, dont le travail sur la pathologie forestière mené à l’herbier, au laboratoire et sur le terrain s’appuie sur les décennies de connaissances acquises et transmises par ses prédécesseurs.

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Pour en savoir plus sur Joey Tanney, consulter le ResearchGate (en anglais)

Herbier de pathologie forestière du Centre de foresterie du Pacifique

Herbier René Pomerleau

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