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Des forêts à géométrie variable : une histoire de climat et de feux de forêt doublée de résultats surprenants

L’histoire des forêts nord-américaines en est une de résilience, d’adaptation, de renouveau et d’espoir

Janvier 2024

Si vous faites une randonnée pédestre dans l’une des forêts nordiques du Canada, vous pourriez découvrir un monde peuplé d’arbres majestueux, de zones d’ombre imprégnées du parfum des pins et des épinettes et d’un grand nombre de plantes et d’animaux de tous genres et de toutes tailles. Mais Ellen Whitman, chercheuse en feux de forêt au Service canadien des forêts, considère les choses sous un angle différent. Elle voit plutôt un paysage qui se transforme graduellement, tout en douceur.

Plan d’ensemble d’un paysage montagneux qui montre les dommages causés au couvert forestier par un récent feu de forêt.

L’impact d’un récent incendie près de la réserve de parc national Nahanni, située à environ 500 kilomètres à l’ouest de Yellowknife (Territoires du Nord-Ouest). Photo : Ellen Whitman.

Un lieu très différent

Ellen nous explique le phénomène : « Globalement, on remarque un changement dans les biomes forestiers – les forêts matures cèdent la place à des écosystèmes dominés par des arbustes et des plantes herbacées. Dans les Territoires du Nord-Ouest, on trouve des portions de forêts complètement transformées. Au règne des grands pins gris succède celui des plantes herbacées et des trembles rabougris, armés de graines légères que le vent peut disperser. » La petite zone forestière qui avait attiré son attention à l’époque est aujourd’hui « un lieu très différent ».

Son intérêt pour le parc national Wood Buffalo et le sud des Territoires du Nord-Ouest est né en 2014, dans la foulée d’une saison des feux de forêt majeure. Elle travaillait alors avec deux autres scientifiques de RNCan, Marc-André Parisien et Dan Thompson, et le spécialiste des feux de forêt Mike Flannigan, de l’Université Thompson Rivers. L’objectif? Comparer plusieurs zones forestières groupées par paires présentant un climat, une végétation avant incendie et des conditions du sol similaires. Dans chacune des paires, l’une des zones avait subi deux feux sur une courte période, tandis que l’autre avait connu une période de repousse plus longue entre les feux. Les différences observées étaient importantes. Les scientifiques ont publié leurs résultats (en anglais) dans la revue scientifique internationale Nature, soulignant que, dans les endroits ayant subi des feux à court intervalle, les forêts denses de conifères avaient fait place à des peuplements ouverts de trembles et à une végétation de sous-bois constituée de plantes herbacées et d’arbustes épars.

Groupe de photos montrant des scientifiques qui travaillent sur le terrain.

En haut à gauche, puis dans le sens horaire : Ellen Whitman (photo : Kira Hoffman). Muni d’une scie à chaîne, le chercheur Dan Thompson marche en observant l’impact des feux de forêt près de Nahanni, dans les Territoires du Nord-Ouest (photo : Denyse Dawe). Des travailleurs de terrain examinent des échantillons d’arbres (photo : Sean Parks USDA Forest Service).

Plus récemment, Ellen et un groupe de chercheurs ont étudié l’évolution des feux de forêt et du climat dans les forêts boréales du nord-ouest du pays. Leurs travaux de recherche, centrés surtout sur l’Alberta et fondés sur des données historiques allant de 1970 à 2019, ont abouti à des résultats (en anglais) intéressants : le nombre de gros feux de forêt par année et le nombre de rebrûlages à court intervalle ont tous deux augmenté à mesure que le climat devenait plus chaud et plus sec. Ces résultats viennent s’ajouter aux données de plus en plus nombreuses qui montrent qu’une augmentation de l’activité des feux perturbe non seulement l’environnement local, mais aussi la capacité globale de la forêt à se régénérer.

Cette transformation est plus visible dans l’ouest et le nord du Canada et dans le sud-ouest des États Unis. Dans certaines zones ayant brûlé plus d’une fois, on peut encore apercevoir des arbres, mais ils sont moins nombreux que dans les forêts avoisinantes, créant un paysage plus dégagé qui fait penser à la savane. Courante en Afrique et en Australie, la savane jouit d’un climat sec caractérisé par des prairies vallonnées parsemées d’arbres et d’arbustes et de rares îlots de forêt.

Joueurs clés : les feux de forêt et le climat

Que se passe-t-il exactement? Ellen nous l’explique : « Les changements climatiques et les feux de forêt de plus en plus graves jouent un rôle de premier plan dans cette transformation – ils ne sont peut-être pas les seuls facteurs en cause, mais ils y contribuent sans aucun doute. »

Les perturbations climatiques prennent la forme de sécheresses, d’inondations et de régimes météorologiques caractérisés par des températures plus chaudes qu’à l’ordinaire. Lorsqu’il fait plus sec que d’habitude, les feux de forêt ont tendance à devenir plus fréquents et plus graves.

Qui plus est, les sources de graines sont rares près des superficies brûlées récemment, ce qui freine la repousse des arbres, soit parce que la superficie incendiée est si vaste que les graines devraient voyager sur de trop longues distances, soit parce que le feu a détruit la réserve de graines, c’est-à-dire les semences dormantes normalement présentes dans le sol. Et même si un semis réussit à prendre racine, il risque d’être exposé à du temps inhabituellement chaud et sec. Bref, il risque de ne pas survivre dans le climat actuel, différent du climat qui régnait au moment où ces forêts ont vu le jour, des décennies et des siècles plus tôt. 

Petite parcelle de forêt composée de jeunes trembles.

Dans cette parcelle de forêt ayant brûlé plus d’une fois, des trembles ont remplacé des espèces d’arbres anciens qui dominaient auparavant.

Des changements sur le long terme

« On observe une tendance à long terme : des espèces d’arbres anciens comme l’épinette cèdent la place à des espèces à courte durée de vie comme le pin ou le tremble », fait remarquer Ellen.

Rien de nouveau sous le soleil, cela dit. L’équilibre entre les espèces d’arbres dans les forêts boréales d’Amérique du Nord a changé à maintes reprises depuis la dernière grande glaciation, il y a 11 700 ans, au gré des changements de régimes de température et de feux de forêt. Les feux sont un phénomène naturel et peuvent contribuer à la vitalité des forêts. « Les feux peuvent lancer une régénération qui tarde à venir, surtout là où ils ont été éteints artificiellement, précise Ellen. Les forêts ne sont pas au-dessus d’autres écosystèmes, et parfois un petit rééquilibrage s’impose dans les lieux qu’elles ont envahis, par exemple d’anciennes prairies. »

La résilience : une course pour ne pas être dépassé?

Les forêts et la faune peuvent être résilientes. Les arbres s’adaptent depuis longtemps aux feux de forêt et aux variations des conditions, tandis que les animaux peuvent se déplacer vers des lieux plus sûrs. Les arbres matures ont beaucoup d’inertie, ce qui veut dire que même si le climat évolue rapidement, ils vont vraisemblablement survivre. Ellen remarque toutefois un détail crucial : le changement s’accélère et les écosystèmes ont moins de temps qu’avant pour se rétablir entre les feux. « Il semblerait qu’ils commencent à perdre la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour résister aux perturbations », explique-t-elle.

L’affaire se complique quand on tient compte des impacts écologiques dans leur ensemble. Les feux de forêt ont un effet domino. « En Amérique du Nord, la perte de grands arbres anciens pourrait avoir des conséquences pour des créatures conçues uniquement pour vivre dans les forêts matures », signale Ellen. Pensons, par exemple, à des espèces spécialistes comme la martre et le pékan, des mustélidés qui installent leur tanière à l’intérieur d’arbres creux. Les feux de forêt ont aussi des impacts sur la société et l’économie puisqu’ils réduisent la séquestration de carbone, modifient la dynamique de l’eau et influent même sur la quantité de rayonnement solaire que la planète peut absorber.

Forêt en régénération. De jeunes pins se développent bien dans un secteur qui a brûlé. Des semis de pins âgés d’un an prennent racine.

Forêt en régénération. À gauche : De jeunes pins se développent bien dans un secteur qui a brûlé. À droite : Des semis de pins âgés d’un an prennent racine.

Espoir, régénération et adaptation

L’histoire des forêts n’est pas faite que de pertes, mais aussi de régénération et d’adaptation. « Il est fort probable que la plupart des forêts brûlées se rétabliront », avance Ellen. Les forêts évoluent. Les forêts de l’avenir ne ressembleront pas nécessairement à celles que nous avons l’habitude de voir ou ne réagiront pas nécessairement comme nous nous y attendons. Mais la nature a horreur du vide, et différentes combinaisons de plantes indigènes et non indigènes y trouveront certainement leur place.

Les recherches d’Ellen doivent nous rappeler que nos actions ont des répercussions profondes sur les écosystèmes. Or, il est possible d’atténuer les changements subis et de s’y adapter. Ainsi, les gestionnaires des terres peuvent miser sur des stratégies comme la suppression des matières combustibles et le brûlage dirigé pour limiter la gravité et la propagation des feux de forêt. Nous aussi pouvons faire notre part, en réduisant notre consommation d’énergie et nos émissions de gaz à effet de serre. L’important, c’est d’atteindre un équilibre qui permette à la nature de s’épanouir et de continuer à fournir les services écosystémiques qui nous sont indispensables. Il reste encore beaucoup à faire : Ellen et d’autres spécialistes des feux de forêt poursuivent donc leurs recherches scientifiques pour comprendre les causes et les conséquences des changements qui s’opèrent dans nos forêts.

Suggestions de lecture :

Plus d’info (en anglais) sur les travaux d’Ellen Whitman dans ResearchGate
Feux de forêt : gestion et recherche (RNCan)
Suivi de l’évolution et du rétablissement des forêts (RNCan)
Incendies de forêt d’une ampleur record au Canada en 2023 (article de La science simplifiée)

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