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De nouvelles recherches géologiques réalisées dans l’Arctique canadien donnent des indices quant à la présence de vie sur Mars

Au Canada, une formation géologique unique en son genre porte le nom de Smoking Hills (« collines fumantes » en français) parce qu’elle produit littéralement de la fumée; des recherches entourant cette formation donnent à penser que Mars pourrait avoir été une planète plus habitable qu’on le croit généralement.

Avril 2022

Avançant prudemment dans une boue noire gluante, Steve Grasby, chercheur à la Commission géologique du Canada, creuse dans des couches de sédiments fumants sur un site appelé Smoking Hills. Chaque couche marque un moment déterminé dans le temps, ce qui donne au scientifique un aperçu de la chimie de l’océan à cette époque et met au jour des périodes d’activité volcanique, des périodes glaciaires et d’autres phénomènes chaotiques. D’ordinaire, ses résultats font surtout état de longues périodes de stabilité. Néanmoins, les Smoking Hills étaient et demeurent une sorte de mystère sur le plan scientifique.

Photo grand angle de falaises fumantes près de la mer.

Du schiste brûle à plusieurs endroits dans les falaises de la baie de Franklin, ce qui produit des nuages de fumée.

Contexte

Les Smoking Hills – ces falaises spectaculaires situées en bordure de la côte arctique dans le Nord canadien dégagent littéralement de la fumée depuis des milliers d’années! Semé de roches fumantes et d’étangs extrêmement acides, cet endroit est l’un des plus toxiques de la planète. La concentration de dioxyde de soufre dans l’air y est si forte qu’il faut porter un masque à gaz. De plus, la température au sol est si élevée que Steve doit prendre des précautions pour éviter que ses thermomètres brisent ou que ses bottes fondent.

Steve porte un masque à gaz, deux scientifiques versent un échantillon d’eau acide dans un récipient en verre et gros plan d’une mare rouge.

Les scientifiques doivent porter des équipements pour se protéger des nuages d’acide sulfurique chaud et de l’eau acide riche en métaux. Le rouge dénote une teneur en métaux extrêmement élevée.

Les recherches de Steve semblent cependant indiquer que le site n’a pas toujours été dans cet état. À une certaine époque, cette zone ne fumait pas du tout : c’était un milieu marin sain à pH neutre fourmillant de vie. Steve en a conclu que les Smoking Hills s’étaient formées avant l’acidification de la région. Il a rapidement fait un lien avec des formations géologiques similaires situées à des millions de kilomètres de son site d’étude. « Les conditions sur Mars pourraient ne pas avoir été toujours aussi hostiles qu’on le pense, affirme Steve. Mars pourrait avoir abrité un environnement beaucoup plus hospitalier que ce que nous disent les modèles actuels. »

« Nous savons que les couches similaires que nous observons ici sur Terre se sont formées dans un milieu marin normal, grouillant de vie, explique Steve. Si les mudstones fumantes découvertes sur notre planète reposaient jadis dans des eaux à pH presque neutre propices à la vie, peut-être que c’est la même chose sur Mars. »

Du schiste brûlant et fumant par suite de l’affaissement du pergélisol, photographié sous deux angles différents. Image du milieu : schiste qui s’effrite après avoir brûlé et refroidi.

En fondant, le pergélisol s’affaisse, exposant à l’oxygène le schiste riche en pyrite. Cela déclenche l’oxydation, qui provoque la combustion du schiste. Après avoir brûlé et refroidi, le schiste devient rouge et friable.

Plus de questions que de réponses

« Comme tout bon projet de science, celui-ci soulève plus de questions qu’il n’en résout », ajoute Steve. Les scientifiques comprennent ce qu’ils voient dans la formation, mais ne saisissent pas tout à fait l’origine du phénomène. Ils ne savent pas pourquoi les rochers ont commencé à fumer il y a plusieurs siècles, ni exactement pourquoi les pilotes affirment voir plus de fumée après des pluies abondantes.

Et, comme dans tout bon projet de science encore, l’ouverture d’esprit est de mise. Steve est arrivé sur place dans l’intention de découvrir la composition minéralogique exacte de la formation. Il était curieux de savoir s’il s’y trouvait des minéraux rares ou de précieux minéraux critiques. Par contre, il ne s’attendait pas du tout à établir un lien entre les Smoking Hills et Mars.

« Nous avons été étonnés; nous avons creusé encore et encore dans la formation géologique, et partout, c’était de la jarosite », se rappelle Steve. La jarosite est un sulfate de fer friable, brun jaunâtre, qu’on trouve dans les étangs acides et dans la roche en place. Elle est plutôt rare sur Terre. « Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a des formations très semblables sur Mars », souligne Steve. Le minéral a été vu sur Mars la première fois en 2004 quand le rover Opportunity de la NASA a roulé sur des couches de jarosite à grain fin. Des missions ultérieures ont confirmé que la jarosite est bel et bien présente en abondance sur la planète rouge.

La recherche de Steve a des implications pour les scientifiques du monde entier qui étudient Mars, en quête de signes de vie. Les rovers, ou astromobiles, de la NASA collectent actuellement des échantillons de roche. Toutefois, il s’écoulera au moins dix ans avant que ces échantillons atterrissent sur notre planète. Heureusement, un membre de la commission géologique des États-Unis (U.S. Geological Survey) a accès ici sur Terre à l’une des technologies utilisées dans les astromobiles de Mars, soit un spectromètre ultrapuissant à faisceau de rayons X. Les scientifiques savent déjà ce que les astromobiles peuvent voir ou mesurer dans la jarosite trouvée sur Mars. Alors, pourquoi ne pas se servir de la même technologie pour analyser des échantillons de sédiments prélevés ici sur Terre?

Collines peu escarpées révélant des couches de schiste rouge et jaune.

Là où il y a eu des feux, le schiste, altéré par la chaleur, prend des teintes rouge et jaune.

Plus on sait de choses, plus il y en a à apprendre…

Il y a tellement d’autres choses à apprendre au sujet des Smoking Hills. Les peuples autochtones connaissaient l’existence de cette formation il y a des siècles, bien avant que les explorateurs du fleuve Mackenzie au XVIIe siècle en laissent la première trace écrite. Il appartient maintenant à la science et à la technologie du XXIe siècle d’aider à éclaircir ce vieux mystère et à établir des liens avec la vie sur Terre, voire avec la vie sur Mars.

Pour plus d’information :

Info sur la carrière de Steve Grasby dans ResearchGate (en anglais)

Manuel Bringué sur science.ca

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