Découvrir les secrets des volcans canadiens grâce à la technologie
Saviez-vous qu’on trouve, au Canada, des volcans qui pourraient entrer en activité? Ces géants assoupis nous rappellent le passé volcanique du Canada et nous fournissent d’importants indices sur les éruptions qui pourraient survenir dans le futur. Les scientifiques ont maintenant accès à la technologie qui leur permet de surveiller de près ces volcans dormants et ainsi d’atténuer les risques liés à une entrée en éruption.
Avril 2024
Un article de Mélanie Lussier
Bien que les 28 champs volcaniques dénombrés au Canada soient tous situés en Colombie-Britannique et au Yukon, les conséquences d’une éruption pourraient s’étendre bien au-delà de ces zones. En effet, les cendres volcaniques posent d’importants risques puisqu’elles peuvent être transportées sur des milliers de kilomètres. Elles peuvent gravement endommager les avions, nuire aux récoltes, obstruer les systèmes de ventilation et complètement paralyser les transports. De telles perturbations peuvent avoir un impact sur le transport aérien et les chaînes d’approvisionnement, et ainsi entraîner de vastes répercussions économiques.
Plus immédiatement, les coulées de lave et les lahars (coulées de boue composées de débris rocheux et d’eau) peuvent avoir des conséquences désastreuses pour les populations qui habitent à proximité d’un volcan. Par exemple, selon les récits oraux de la Première Nation Nisga’a, l’éruption du cône Sii Aks / Tseax, dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique au milieu des années 1700, a tué environ 2 000 personnes et produit des coulées de lave qui ont rempli les vallées et détruit plusieurs villages.
Pour en savoir plus sur la réduction des risques liés aux volcans, l’équipe de La science simplifiée s’est entretenue avec Drew Rotheram-Clarke, scientifique spécialisé dans l’observation de la Terre, et avec Melanie Kelman et Yannick Le Moigne, tous deux volcanologues à la Commission géologique du Canada (CGC).
« C’est bien, car nous pouvons non seulement évaluer les dangers et les risques, mais aussi réduire ces risques grâce à la surveillance, explique Mélanie. Ces évaluations nous renseignent sur les risques volcaniques qui planent sur des régions particulières et nous permettent d’évaluer les répercussions possibles sur la population et les biens, tandis que la surveillance de l’activité sismique et autres phénomènes nous aide à prévoir ce qui pourrait se produire. Tous ces éléments sont utiles à l’élaboration de stratégies d’atténuation des risques. »
Parmi les mesures d’atténuation à court terme prises avant et pendant un événement volcanique, notons l’évacuation de la population, le détournement de la circulation automobile et aérienne, le nettoyage des cendres volcaniques – en particulier sur les toits – et la protection de la machinerie contre les cendres.
Hier et aujourd’hui
Dans le cadre du projet de réduction des risques volcaniques au Canada, les scientifiques de la CGC étudient nos volcans à l’aide de l’interférométrie par radar à synthèse d’ouverture (InSAR), une technique de télédétection qui, à partir des ondes radar émises par les satellites, permet de mesurer avec précision les déformations de la surface du sol.
Dans le passé, les scientifiques avaient recours à des instruments placés au sol pour surveiller la déformation des volcans. Ils utilisent encore cette méthode, mais la combinent désormais avec l’InSAR et d’autres techniques de télédétection pour obtenir une image des changements aussi détaillée que possible.
Outre ses nombreux avantages, l’InSAR permet aux scientifiques de recueillir, fréquemment et à faible coût, des données sur des centaines de kilomètres carrés.
« Une chose que nous permet de faire l’InSAR – et que nous étions incapables de faire auparavant – est de détecter, par des mesures, si un volcan lointain ou inaccessible est en train de changer de forme », indique Mélanie. Ce nouveau savoir-faire est d’une grande importance, car même la détection de changements de quelques millimètres seulement pourrait indiquer qu’un volcan se déforme sous l’effet de mouvements du magma, ce qui est l’un des signes annonciateurs d’une éruption.
« Nous avons en place une surveillance systématique qui peut se faire entièrement à distance, ajoute Drew. C’est très économique. L’InSAR est en quelque sorte notre mécanisme de détection précoce; une fois que nous savons qu’un site volcanique est en état d’agitation, il est plus facile pour nous de justifier le recours à une surveillance au sol. »
« La technique de surveillance InSAR ne permet pas de détecter tous les cas d’agitation volcanique, car les volcans ne se déforment pas tous avant d’entrer en éruption. Son utilisation nous permet toutefois de comprendre beaucoup mieux les conditions qui entourent l’état de dormance ou d’agitation de nos volcans. »
À l’aide d’une combinaison de technologies, dont l’InSAR, la CGC est à mettre sur pied une base de données d’imagerie pour tous les volcans à risque élevé ou très élevé au Canada.
Les scientifiques sur le terrain : un besoin toujours présent
Même si l’InSAR peut surveiller l’état des volcans dans tout le pays, nos trois experts en volcanologie affirment que cet outil ne pourra jamais remplacer le travail de terrain. Pour réaliser des évaluations rigoureuses, les scientifiques doivent encore se rendre sur place pour effectuer une cartographie géologique des lieux, recueillir des échantillons pour analyse et effectuer une surveillance au sol des séismes, de la déformation du sol, des émissions gazeuses et d’autres phénomènes volcaniques.
« L’InSAR est un outil vraiment formidable, parce qu’il nous aide à déterminer si le magma qui se trouve sous le volcan est en mouvement ou non, précise Yannick. Mais pour savoir de quel type est le magma en mouvement, on doit aller sur le terrain pour connaître l’histoire du volcan. On doit fusionner les observations à distance – effectuées au moyen de l’InSAR — avec les observations au sol pour pouvoir mieux comprendre la situation. »
L’InSAR : un outil d’apprentissage
L’équipe de l’InSAR surveille systématiquement neuf sites volcaniques en Colombie-Britannique. Elle a observé de nombreux signes de déformation de la surface, dont des mouvements glaciaires et des glissements de terrain rampants. Dans tous les cas, il s’agit cependant de phénomènes non magmatiques, et l’information fournie par l’InSAR ne donne aucunement à penser que l’un ou l’autre des volcans canadiens est en cours de déformation sous l’effet de processus magmatiques.
Les données recueillies jusqu’à maintenant par l’InSAR sont utiles, car elles viennent confirmer les conclusions de diverses études, notamment le fait que le Nch’ḵay̓ et le Qw’elqw’elústen (mont Meager) sont de gros volcans structurellement instables qui connaissent de fréquentes déformations et de nombreux glissements de terrain.
« Plus on collecte de données, mieux on va comprendre de quoi a l’air la normalité pour tel ou tel volcan, résume Melanie. Il faut établir une base de référence qui nous dit comment chaque volcan se comporte quand il est assoupi. Cette base nous aidera à détecter les mouvements anormaux du magma. »
Leçons d’Islande
Consciente de l’importance des observations internationales pour mieux connaître les volcans d’ici, l’équipe de la CGC regarde au-delà de nos frontières pour valider ses méthodologies.
« D’aussi loin qu’on se souvienne, il n’y a jamais eu d’éruption en sol canadien, alors il nous est très difficile d’étudier la dynamique des éruptions », constate Drew.
« En étudiant des exemples de déformation magmatique de par le monde, à la fois en temps quasi réel et rétrospectivement, on découvre ce qu’il faut chercher et comment s’y prendre, et on voit quelles sont les techniques qui pourraient fonctionner ou au contraire être problématiques pour nous quand on surveille l’agitation volcanique sur notre territoire. »
Par exemple, l’équipe a surveillé des éruptions survenues récemment dans la péninsule de Reykjanes, en Islande, en utilisant les images satellitaires de la mission de la Constellation RADARSAT pour obtenir des mesures renouvelées presque quotidiennement. Elle a mesuré avec précision la déformation de la surface avant, pendant et après ces éruptions; a observé la formation de dykes et a imagé l’empreinte de lave. Le tout s’est fait en temps quasi réel, puisque de nouvelles mesures de la surface étaient parfois générées moins d’une heure après le passage du satellite au-dessus des éruptions.
Il est très important de comprendre l’activité volcanique partout dans le monde. « Si un volcan se réveille au Canada, explique Drew, ce sera vraisemblablement la première éruption à laquelle les volcanologues canadiens auront été confrontés. Nous avons tout intérêt à profiter de l’expertise des scientifiques d’autres pays qui ont eu à composer avec l’agitation et les éruptions volcaniques. »
Dans le collimateur des volcanologues de la CGC
La volcanologie est un domaine de recherche dynamique, plein de développements fascinants.
Le Service canadien d’information sur les risques de RNCan prévoit de surveiller les volcans canadiens en permanence à l’aide de la technique InSAR, de manière à fournir des données en continu, ce qui, selon Mélanie, améliorera notre connaissance de la situation et notre capacité de réaliser d’autres types de surveillance des volcans. RNCan procède actuellement à une évaluation des dangers et des risques que présente le mont Nch’ḵay̓ et espère en faire autant pour d’autres volcans canadiens.
Outre l’InSAR, les chercheurs explorent d’autres technologies innovantes. « Nous avons collecté beaucoup d’images du Nch’ḵay̓ en hélicoptère, mentionne Yannick, et ces images ont servi à construire un modèle 3D du volcan. »
« En ce moment, nous avons quelqu’un de l’Université Simon Fraser qui travaille avec nous pour produire de très beaux modèles, se réjouit Yannick. Ça nous permet d’examiner tous les petits détails du volcan, les différentes couches de lave, les dépôts des coulées pyroclastiques, etc. dans le confort de notre bureau. »
La CGC prévoit aussi de s’aventurer dans le monde de l’intelligence artificielle.
« Nous avons travaillé avec l’Agence spatiale canadienne pour créer une mission de surveillance mondiale des volcans, mentionne Drew. Comme l’InSAR permet de générer des centaines de milliers d’observations à l’échelle mondiale, nous pourrions entraîner un modèle d’apprentissage automatique à détecter l’agitation volcanique. »
Par tous ces moyens et d’autres encore, la volonté de la CGC de faire progresser la recherche sur les volcans grâce à la technologie et à la collaboration internationale approfondit notre compréhension du paysage volcanique de notre pays et nous aide à nous préparer à d’éventuelles activités volcaniques.
Pour creuser le sujet :
Quels sont les risques particuliers associés aux cendres volcaniques?
Exploiter l’énergie des volcans (article de La science simplifiée)
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